Boost #06 | têtes torves

Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges & immunités dont jouiſſent les perſonnes nées libres : voulons que le mérite d’une liberté acquiſe produiſe en eux, tant pour leurs perſonnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres Sujets. (code noir)

Tête  boue

Je peux bien être vu par tes joues, par les ailes de ton nez, par l’humidité de tes lèvres épaisses, par la peau impie qui protège ton corps, par tes cheveux brûlés, mais par tes yeux, non, je ne veux pas être vu.

Tête bois

Les têtes s’éternisent dans la vase. Elles attendent. Certaines flottent sans bruit, on les confond avec les cosses. Et l’anguille se réfugie dans leur sourire.

Tête plastique

Cet homme, te dis-tu, a le visage de la mort. Tu le croises au rez-de-chaussée d’un centre commercial. Tu es face à la mort, dans un lieu si peu propice à la célébrer. Que peut la mort, un mardi matin ? Piteuse, elle est des nôtres, affairée comme nous tous. Le nez affaissé, les joues creuses et le teint livide. Seule sa bouche… Comme il t’importe alors d’éviter le lourd cabas qu’elle traine derrière elle, tu ne la vois pas sourire. Mais c’est bien de son sourire que tu te souviens en sortant du centre commercial.

Tête papier

Sur la soie rouge de la valise en croco, une tête dont la bouche est gavée de billets de banque est posée. La valise s’enfonce lentement dans la vase. Une assemblée de crabes crépitent comme font les païens. Et la tête se met à flotter, bien décidée à rejoindre l’océan.

Tête rouille

Dans l’obscurité du pont inférieur, elle grattait ses fers, détachant de petits copeaux de rouille que sa salive amalgamait. De Quelimane à Majunga, de Majunga à Saint-Paul, une tête prit forme entre ses doigts. Elle commença par y creuser un sourire.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).

5 commentaires à propos de “Boost #06 | têtes torves”

    • J’ai écris les têtes bois et plastique avant de générer les images. Ensuite, j’ai fait une liste de têtes (boue, papier, baudruche, fer, cuir), mais j’ai séché et n’ai plus trouvé le temps de m’y remettre. J’ai donc généré boue, papier et rouille, sans avoir de textes en tête, juste pour tester. J’ai généré plein de têtes dans la mangrove, en ai éliminé beaucoup. Rouille, boue et papier sont restées. Rouille surtout. J’ai essayé d’écrire avec ça ensuite, sans trop savoir quoi en faire.Je m’en suis tenu à des prompts peu détaillés. Les têtes bois et boue dans la mangrove, étaient toutes africaines. Celles en papier et plastique, toutes européennes. J’ai raté toutes mes têtes baudruche.

  1. Images très fortes, ces têtes dans la mangrove. Je suis particulièrement touchée par la tête de boue et l’adresse du texte à ses yeux et la tête de rouille qui grattait ses fers. Merci.

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