J’ai trouvé une petite gueule cassée dans mon jardin. Au premier coup de tondeuse, j’ai buté sur elle.
Un peu de granit rose affleurait à la surface du gazon. Puis, les pluies, les vents, les chats, les vers, les moisissures l’ont fait de plus en plus s’extirper de la terre, jusqu’à émerger jusqu’au niveau du front. Cette tête dure n ‘a rien cédé à l’usure du temps et de la nature hostile. Bien sûr le granit n’a jamais retrouvé sa couleur d’origine. Mais elle, dans mes mains, et moi, debout sur ce coin de terre, nous avons, comment dire, sympathisé. Je l’ai sentie tellement reconnaissante de l’avoir découverte, et, enfin, il m’ a été tellement difficile de la sortir de sa terre. Ensevelie surement depuis des décennies, il a fallu que je creuse délicatement, tout autour d’elle d’abord et puis j’y suis allé au pinceau pour les finitions. Quand je l’ai sortie complètement de son enlisement, elle était belle ma tête, je l’ai sentie respirer, puis, un matin, elle m’a regardée. Vous vous y attendiez, n’est-ce pas ? Vous vous êtes dits, ça y est, elle va nous faire le coup du clin d’œil ! Et bien, non, ses yeux, avaient comme de profondes cavités mystérieuses, je ne pouvais pas reconnaitre si elle les avait fermés ou ouverts mais, il me semblait qu’elle me regardait d’un air complice comme si je la rendais à la vie. Je reconnus aussi le relief d’un nez mangé par la terre mais sa bouche était intacte ; la « Bocca della veritas » qu’allait-elle me raconter de la maison, de son histoire, de ses guerres, de la terre où elle se trouvait ensevelie ? Je pris la petite tête dans mes mains et souffla dessus. Elle ne me répondit pas tout de suite, elle dormait encore; j’ attendrais son réveil, maintenant on avait tout notre temps.
Très beau. Merci Carole.
C’est superbe Carole, je suis complètement touchée par cette histoire. Et moi qui suis actuellement en résidence dans le Nord, ton titre et tes mots m’ont tout de suite happée. Je raconte un conte en ce moment où un homme ivre trouve un crâne sur son chemin et pour rire le cogne et l’invite à diner et le crâne lui répond. Je crois que cela doit faire très peur une tête qui se met à parler
J’ai aussi une petite poule dans le jardin où je suis et moi aussi je lui parle et je comprend totalement ce dialogue qui peut naître entre un animal et soi un objet et soi, c’est magnifique, merci.
Merci, Hugo et Clarence pour ces retours qui me touchent. J ‘ai écrit ce texte le matin, très vite avant une journée chargée;..
Clarence, ton conte me fait penser un peu à Don Juan et un peu à Hamlet, mais ça doit faire très peur , en effet, ;)))
et bon séjour en résidence .
Bonjour à cette petite poule de ma part