boost #05 | Ton cri à fleur de lèvres

Dans la rue, bouche ouverte, ton cri à fleur de lèvres. Inarticulé. Tu voudrais crier pourtant mais ton cri s’évapore dans l’air bouillant. Un son s’échappe mais il n’a rien du cri qui déborde le corps. Ces jours-là, à défaut de ta bouche, ce sont tes yeux qui lancent le cri. Ces jours-là, ton cri écarquille tes yeux, les fait briller fiévreusement. Le cri écarquillé dans tes yeux harponne les visages et les visages ont peur, se détournent de ton cri et changent de trottoir. Et le cri continue de s’échapper en larmes d’impuissance sur tes joues. Les racines de ton cri plongent dans tes entrailles. Et parfois, il n’a pas le temps de brûler tes poumons et d’enflammer ta gorge car c’est là, dans tes entrailles, qu’il naît et se perd, ton cri. Dans le ventre-étang plombé de larmes, noué, et ta colère, noyée, dedans. Ton cri crève alors en petites bulles à la surface de l’étang-ventre dans le marécage de tes douleurs. Parfois tu rêves que tu cries, vraiment. Tu rêves que tu l’arraches de tes entrailles, qu’il emplit bientôt ton corps tout entier, chaque pore de la peau hérissé de ton cri, chaque membre de ton corps tendu par le cri, un corps-cri prêt qui explose à la face de tous les visages, à la face du soleil. Tu te réveilles bouche ouverte, yeux écarquillés, ton cri enseveli dans le silence de ton appartement, et toi dedans, avec ton cri à fleur de lèvres.

Codicille : j’ai l’impression de ne cesser de réécrire des textes déjà-là sous l’éclairage d’une nouvelle proposition. A nouveau, la femme aux mots empêchés et des échos avec le texte de mardi. Je réécris mais j’ai l’impression que ça creuse des variations, même infimes, qui pourront, je l’espère, donner quelque chose un jour.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

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