Au même endroit. Engloutie. Enfouie sous des tonnes d’eau. Ta vie tétanisée. Liquidée. Elle, c’est ton corps raidi, lave figée ou tronc largué, immergé. Elle c’est lui entièrement — ton cri enfermé. Ton cri fait corps avec ce qui ne ressemble plus à rien. Même pas à l’attente. Il y a des siècles, peut-être as-tu tenté de crier quand ta coque de nerfs a pris l’eau. Mais personne n’écoutait. Ton cri s’est tu. Ton cri s’est effondré sur lui-même dans le champ noir, à la merci du pire, quand rôdent les prédateurs. Tu ne peux même pas ouvrir la bouche, l’eau lourde rentrerait et prendrait une place qui existe à peine. Si quelqu’un cherchait à te rejoindre dans les abysses, il devinerait ton cri rien qu’en voyant le sombre dépôt à même le fond. Cri inscrit dans l’immobilité, dans les mailles du silence, dans la masse du piège. Ton cri : ce que tu sais, ce que ta vie retient et ce qui la retient au fond. Cri changé en silence. Terre et chair au ralenti, sève arrêtée dans l’arbre qu’on abat, langue des signes non— impossible d’approcher les mains de la bouche. En touchant le fond, tu as cru pouvoir reprendre pied, déchirer le filet comme le nouveau-né qui s’engage dans le passage étroit, risquant sa vie jusqu’au premier cri. La forme qui t’emmure est entravée, comment se débattre, appeler à l’aide, sortir de là ? A la surface lointaine : des rumeurs, les menaces des prescripteurs, les signaux au rouge. Dessous, dans la zone de minuit, la pression attaque le cri-même : il se déforme, ressemble à l’ivresse du chant au moment de l’extinction. Pour atteindre la profondeur maximale, quelqu’un a plongé. Quelqu’un a traversé les ondes. Quelqu’un a dégagé des limbes le bloc fossilisé de l’étrange présence. Quelqu’un a tout remonté vers la lumière aveuglante. Quelqu’un a fait sécher au bord le corps gorgé d’eau. Quelqu’un a redressé le tronc et taillé en lui une silhouette fixant le large. D’elle se sont échappés en criant des milliers d’oiseaux de mer.
Codicille : aborder la proposition, c’était faire suite, comme si la même figure s’imposait une fois de plus. Après avoir écrit l’arrivage 5, j’ai relu mon texte Boost 2 —Portes, De l’une à l’autre— et j’ai réalisé qu’il commençait par « la géante de vieux chêne qu’on pousse… » ce que j’avais oublié.
2 commentaires à propos de “# Boost # 05 | ton cri”
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Noyer le cri dans l’eau lourde, belle idée, merci pour ce texte
« Cri inscrit dans l’immobilité, dans les mailles du silence, dans la masse du piège. Ton cri : ce que tu sais, ce que ta vie retient et ce qui la retient au fond. Cri changé en silence » Merci, touchée .