#boost #05 | Henri Michaux | qui regarde ?

Codicille : partager la mort de son vivant une expérience à tenter, Bouvier de Cachard un ami peintre a dessiné sa femme les huit derniers jours de sa vie, poignant…

7 jours avant… un portrait, un dernier éclat ou un dernier effacement, le peintre l’a-t-il figée trop tard ?

De ce portrait je ne vois qu’une obsession à tracer la vie. Une chevelure de jeune fille séchée, relevée en désordre sur son crâne des yeux immense comme la carte d’un pays disparu, le squelette de ses mains aux doigts sans fin retenant par le pouce un chardon vidé de sa sève ; une morte vivante avant le basculement, seuil incertain quand l’ombre commence à grignoter la chair. Trop longtemps nous nous regardons… N’est-ce qu’une sensation quelque chose de discret qui court sur ma nuque, s’infiltre, l’œil vacille. Sa peau trop mate et sourde ne la touche plus vraiment, matière d’une profondeur qui n’a plus de fond. Ses yeux oui, surtout les yeux, deux lacs de silence trop ouverts. 

J’aimerais passer ma main, effleurer la toile, vérifier si la peinture est sèche. Difficile de détourner mon regard. Le portrait me suit et m’absorbe, je tombe en elle. Qui regarde ? Son regard s’imprime sous mes paupières. 

On ne tue pas un regard qui ne s’éteint pas. 

Sanguine

À la sanguine, il a tracé l’empreinte de son propre effacement. L’éclat vif du trait épouse la courbe de sa clavicule, l’ombre de sa mâchoire tendue, l’arc fragile de ses côtes visibles sous la peau. La ligne hésite, un souffle retenu. D’une main fébrile, il a fixé la tension de ses tendons, la torsion de ses poignets, les veines affleurant à la surface.

L’oreille tendue capte ce que je n’entends pas, une parole glissée entre le papier et l’absence. Il s’efface dans le mouvement même du dessin, dans la fuite de la sanguine qui épouse le grain, sature les creux, illumine d’un rouge éteint ce qui déjà disparaît. Il a voulu capturer l’instant de sa propre disparition, et pourtant son trait insiste vif, palpitant, comme un dernier battement retenu sur la page.

Et cette marque qui titube, le rouge s’efface à mesure qu’il s’inscrit. L’image palpite sous mon regard, comme si elle respirait encore, à la lisière de mon propre souffle. Il a tracé son effacement, et pourtant, je le retrouve, intact. L’ombre des tendons, la lumière sur l’os, le frisson du papier sous la sanguine me captivent. Je m’y perds, à la recherche de moi-même Plus qu’une disparition une persistance : celle du geste, du souvenir, de l’émotion qui m’ancre et me hante à la fois.

4 commentaires à propos de “#boost #05 | Henri Michaux | qui regarde ?”

  1. Thème fort, beau texte, merci Raymonde… en expérience parallèle, le peintre suisse Ferdinand Hodler a peint Valentine, sa maîtresse mourante, il a même tenté de modeler son visage, et cette œuvre aussi a subi la déliquescence du temps… L’auteur Daniel de Roulet en a fait le beau roman « Quand vos nuits se morcellent ».

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