#boost #05 | cri

s’il lui est arrivé de crier plus rien en elle aujourd’hui ne crie. oh plus rien ne crie

avoir écrit et penser que tout est faux. tout ce que je vous écris est faux. je répète : tout ce que je vous écris est faux.

un cri est souvenu, un cri remémoré. rien de ses circonstances, si peu. souvenir de la chambre souvenir d’elle agenouillée sur le lit, un matelas posé au sol. une chambre plutôt nue, des traces de soleil au sol des traces sur les murs diagonales longues. présence de deux entités présence de deux personnes de deux personnes de sexe  opposé où est-il comment se tient-il parle-t-il que dit-il il parle ils se parlent et est-ce qu’elle souffre mais de quoi se parlaient-ils présence d’eux masses séparées était-elle couchée étaient-ils couchés s’est-elle alors agenouillée quelque chose lui a été dit une parole ajoutée une question de plus une remarque peut-être banale un rien  et le cri est venu voilà que le cri est sorti. comme un arrachement un arrachement de soi un arrachement à soi. le cri s’est arraché d’elle l’arrachait à elle-même

elle-même l’entendait 

il ne suffit pas de dire qu’il était immense toute proportions  gardées  il a bien pris toute la pièce se déployait depuis sa colonne dont nul ne sait où elle trouvait son origine, la colonne du cri qui la traversait  dont elle saisissait de l’intérieur — en son intimité et dans la lumière du lieu — les aspérités les enroulements les modulations ; le cri est à la fois long et bref je répète le cri est à la fois long et court eut plusieurs départs plusieurs fins se reprenait se réinventait il n’aurait pas pu durer il lui passait par la bouche pour s’élever vers on ne sait quelle nuit astrale ou désastrale. je dis ici un espace quand c’était en elle de la rugueur (rugosité) du frottement de l’humidité, des souffles ayant leur intelligence propre traversant des masses, masses de chairs (qui toutes reçurent un nom, en leur temps et pas pour les siècles des siècles. l’auteur l’autrice demande pardon pour cette interruption)

ils durent être nombreux à l’entendre, au delà de la chambre. l’entité compagne alors la saisit se redressa elle aussi sur ses genoux la saisit la serre dans ses bras sanglote lui parle lui dit des mots insensés qu’elle n’entendra plus jamais qu’il ne dira plus jamais qui ne sera plus reparlé il lui parle de lui dans un grand affolement d’amour pour elle, elle reçoit toute cette urgence il veut qu’ils partent qu’ils s’en aillent sans attendre sur la tombe de son frère, à lui. ils y vont, ils s’en vont, ils roulent dans la nuit, tant qu’ils ne sont pas arrivés la tension reste paroxystique et là-bas, c’est loin, au matin ils mettent du temps à trouver la tombe

la tombe de l’enfant mort au soir de l’enfance

codicille cocidille les phrases qui ne veulent pas se laisser faire qui arrivent tout à l’envers, fanfaronnes, sens dessus dessous qui vous laissent face à l’énigme de leur incorrection : c’est où que ça cloche —

A propos de véronique müller

même si je perds le fil, je m'en sors plutôt bien mal. https://www.disparates.org/iota/

13 commentaires à propos de “#boost #05 | cri”

  1. C’est un texte fort qui surgit en bourrasques, là et là, comme ça, images après images, c’est un cri, qui se laisse déborder, on se plonge dedans et on respire pas très bien devant la tombe de l’enfant. C’est beau Véronique, c’est beau, c’est puissant, c’est désastrale comme tu dis si bien, merci.

  2. Pour répondre à ton codicille, ben non, ça cloche pas, c’est justement ce flux, ce cri qui résonne jusqu’à la tombe du petit frère qui dompte les phrases fanfaronnes. Très intéressant. Et beau. J’aime.

  3. Je ne sais pas comment vous remercier tous pour vos passages, vos mots pour ce texte écrit sur le train Paris Bruxelles, le train lent de 3 heures, écrit dans le désir de l’atelier, le désir de tenter mais sans y croire beaucoup, et puis repris une ou deux nuits plus tard, et alors ce sentiment un peu comme d’une naissance. je dois dire que je vis des choses prenantes ces temps-ci et que j’ai eu recours à l’atelier pour m’ouvrir un espace d’à côté, vidé de ce qui me vide, sans que je m’en plaigne, j’y suis venue de mon plein gré et je me trouve très privilégiée de pouvoir le faire, avoir cette proximité avec ceux qui me sont chers en des moments difficiles pour eux. donc ce choix de l’atelier Boost, je ne le regrette pas. même si j’ai bien failli décrocher au texte peurs que je ne suis pas parvenue à finir, au point que j’en avais décidé d’arrêter d’écrire, décision traitée ensuite par le texte angoisse… enfin malgré tout, je regrette de n’avoir pas le temps de vous lire en ce moment, pas la disponibilité. sachez-le. même pas elle de répondre aux commentaires !
    Donc bien merci à vous toustes, Clarence, Juliette, Nathalie et Françoise, Jean-Luc… et… l’atelier…

  4. …Oui ce que provoque cet atelier… ça booste, ça rebooste et puis ça fait chuter, s’arrêter, penser que non pas possible et puis oui on continue. Merci de rester et ne nous offrir ce texte infiniment poétique !

  5. Superbe texte !
    Ce travail autour de la mémoire, chercher, supposer, tiraillement.
    Ce cri qui sort, occupe tout l’espace, et la tension qu’il y a dans ce paragraphe. Et cette phrase :  » il lui passait par la bouche pour s’élever »… c’est magnifique, ça (nous) fait grandir.
    Je confirme ce que Jean-Luc dit, ça ne cloche pas, au contraire, ça nous prend aux tripes.
    Merci.

  6. oui tu dis que les phrases ne veulent pas se laisser faire, mais cette fois elles nous pénètrent
    je suis dedans, je me débats avec cette souffrance, je vois celle de ma mère au bord de la tombe de l’enfant mort, je connais cela, tu le dis, tu le portes dans ce texte continu et il me saisit dans la nuit
    (je n’ai pas pu m’empêcher aussi de penser au texte de Duras sur le jeune aviateur)

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