#boost #05 | Antonin Artaud |  avant le cri

Codicille : Oui le cri cette possible extinction avant le râle ça me parle tout comme Antonin Artaud

Tapissé, enfoui, prêt. De nos entrailles il nous vient, il nous racle, il nous laboure.

Le cri avant le cri. L’os avant la moelle. Il griffe en nous ce qui était, avant le premier spasme, avant la fente qui s’ouvre dans la nuit du ventre et que l’air fouette d’un coup.

« Le ventre tenu à distance que je force à rentrer en moi » A.A. 

Il est là, projeté hors de moi, suspendu à mes chairs comme un fardeau exilé, récalcitrant. Je le tiens, l’attire, le contrains à retrouver la matrice, à s’y fondre, à s’y dissoudre à s’y recoudre. Il se cabre, il se tend sous mes doigts, il veut se dérober, mais je l’enlace de toute ma force je l’étrangle.

Il s’oppose. Il est le rejeton perdu, l’organe dissident, l’amas viscéral qui s’éloigne de son centre et s’érige en refus. Pourtant, je le contrains à rentrer, je l’écrase contre mon épine, je l’englue dans le sang tiède de mes profondeurs. Il faut qu’il fusionne, qu’il réintègre, qu’il cesse d’être hors de moi, à distance, à l’écart.

Mais il palpite, il convulse, il remue, chose vivante qui lutte contre son absorption. Je sens ses pulsations, ses secousses, lames de rejet. Il est mon propre cri, incarné, dégorgé, que je cherche à ravaler, à réabsorber dans la cavité d’où il a jailli.

Et le cri dans l’ombre, méconnaissable est-ce encore le nôtre, est-ce celui du ventre qui se referme, ou celui du corps que nous avons arraché au-dedans ?

Il monte, il gonfle. Une cloque de sang, une poche trop pleine qui distend la peau, menace. Ça va éclater. Ça doit éclater. Il faut que ça perce, que ça crève, que ça gicle, que ça emporte avec la coulée toute la mémoire plaquée injectée tatouée dans les fibres du ventre. Tout est là, tout est logé, tout est entassé dans la carne qui craque et refuse de rompre.

Avant la dernière contraction, il faut que ça sorte avant que notre souffle n’expire il faut que sorte, celui qui était tapi, celui qui était prêt, celui qui d’un bond va nous éventrer et disperser nos chairs aux quatre vents. Dedans, il est collé aux parois, vit sous les ongles, a raciné dans les tendons. Je suis ses filaments, son entrelacs ; je l’ai nourri et ai abreuvé son feu de mon feu.

Il pousse. Il broie.

De ses vrilles sous la peau il serre la gorge fait trembler la colonne, de ses épines sous la langue un chant d’acier fuse et lacère l’air. Est-ce la fièvre ou la chute, le souffle ou l’asphyxie, est-ce le cri ou la fin du cri ?

La déchirure.

Dans le ventricule gauche de mon ventre.

C’est là que ça s’ouvre. C’est là que ça saigne, oui une fente rouge, un gouffre, un puits qui boit. Les mains plongent, cherchent, fouillent la plaie comme on fouille un rêve, toucher ce qui bat, sentir ce qui se déverse. Une crue de sang, le cœur nu, le muscle à vif palper l’abîme, savoir ce qu’il cache, ce qui roule dans ses replis. Ce qu’il pulvérise dans ses mâchoires de silence.

Et ça cogne, martèle les parois du corps, sortir, bondir, fracturer l’enceinte, égratigner la cage. Il faut que ça vienne au monde jaillisse et que ça meure en naissant.

Mais nous le cadenassons, nous l’épinglons à la trame de nos nerfs, à la paroi de nos rêves.

Trop tard.

Déjà, ça s’épanche. Déjà, ça coule. Déjà, ça inonde. Les murs du corps lâchent. La brèche s’élargit. Un grand vent passe, qui emporte les chairs comme un feu de brindilles.

Un cri, un hurlement sec, étranglé, percé d’éclats. On est là, les mains ouvertes, les os brisés, la peau retournée.

On regarde ce qui s’échappe, un cri encore, plus bas, plus profond. Il rampe du dessous, il gronde du dedans, il cherche… Une bête fœtale, un râle de ventouses devenu clameurs. Ça ne finit pas ça se répand dans les béances du monde.

Est-ce nous qui sommes dedans ?

Qui sortons 

Qui saigne ?

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