#boost #05 | À cet instant

Elle précède mon cri dans son habit qui n’appartient ni au jour ni à la nuit. Elle devient femme à cet instant où sa peau, n’en pouvant plus, fait barrage au silence. À cet instant où ses mains, fatiguées de porter toujours le même paysage, balayent l’immobilité. Le vent vire au nord. La bruine recouvre le manège de chevaux de bois qui tourne à vide. Et pas si loin derrière, on entend qu’on broie des carrosseries de voitures. Elle bombe son torse à cet instant où les gamins désertent le banc en bois vert foncé, en face de la poste. À cet instant où dans le millième de seconde avant que deux pare-chocs s’entrechoquent : mouches agitées, le seul lampadaire de la rue encore éteint s’allume, et deux pas plus loin une friterie fermée l’hiver. À cet instant où dans ce même millième de seconde avant qu’un cendrier en porcelaine se fracasse sur le sol de la petite maison en briques rouges isolée entre un bouleau et un atelier de couture : tango argentin, peluches sans têtes, sans trop savoir si quelqu’un y a déjà habité plus d’un an. Elle claque des talons, yeux de vilaine, à cet instant où le bitume raconte des histoires : deux ou trois nids-de-poule à force d’y faire passer des marchands ambulants – pâtisseries marocaines, café vietnamien, et même du matériel de pêche, tout y passe, tout ferme ici alors ça attire – débordement de la grille d’égout à la moindre averse, et quelques cartons avec des objets à donner le long des maisons – poupées, pelotes de laine, percolateur à réparer… C’est une habitude ici, on donne, on ne jette pas. À cet instant où la bille continue de rouler d’une cour à une autre, saisissant des bribes d’intimité des habitants, de l’arrêt de bus où un seul bus s’arrête à la salle des fêtes. Elle roule toujours, personne ne la ramasse, jamais, il ne faut surtout pas. À cet instant où la vie et la mort batifolent dans une impasse, non loin de la maison communale. La nuit tombe, elle cesse de remuer tout son bleu, donnant au cri la permission d’enfin s’abrutir dans sa propre gueule.

2 commentaires à propos de “#boost #05 | À cet instant”

  1. là, tu n’es pas revenue pour rein, Annick, j’adore « À cet instant où ses mains, fatiguées de porter toujours le même paysage, balayent l’immobilité » Elle claque des talons, yeux de vilaine, à cet instant où le bitume raconte des histoires : deux ou trois nids-de-poule à force d’y faire passer des marchands ambulants – pâtisseries marocaines, café vietnamien, et même du matériel de pêche, tout y passe, tout ferme ici alors ça attire – débordement de la grille d’égout à la moindre averse, et quelques cartons avec des objets à donner le long des maisons – poupées, pelotes de laine, percolateur à réparer… C’est une habitude ici, on donne, on ne jette pas.  » c’est visuel et ça claque !

Laisser un commentaire