#boost #03 | silence

Elle parle. Elle parle. Elle dit. Elle récite. Elle clame. Elle déclame, elle scande. Elle bavarde. Elle potine. Elle ne médit pas. Ni ne dénigre. Elle critique. Elle tempête. Elle crie. Si elle jure c’est plutôt contre elle-même – je dirais contre sa peur : j’extrapole ? Elle parle. Elle dit. Elle se couvre de mots. Les siens. Ceux des autres. Elle parle pour donner à entendre mais aussi pour chasser. Elle voudrait tant pouvoir se taire. Elle parle. Elle dit. Pour mettre à distance elle amalgame les mots. Mais que chasse- t-elle avec les mots ? Elle lit, elle apprend, elle dit. Elle se couvre de mots. Elle parle. Elle enterre le silence. C’est un fleuve. Elle ne peut pas se taire. Si le silence était la peur d’où découlent toutes ses peurs. J’imagine. Elle parle. Elle dit. Pour taire le silence. Elle apprend mots et pages ; elle sait une bibliothèque entière. Elle dit, elle joue les mots. La peur n’est pas si mauvaise conseillère : Écoute , entends comme c’est beau. Elle récite. Elle chante. La nuit. Même la nuit. À personne. Elle imagine un interlocuteur comme dans une conversation courante, elle marque des pauses : elle se répond. Lucide elle dit : moi je parle même à personne. Tu ne peux pas te taire rien qu’une seconde! Pas plus haute qu’une pomme on lui disait déjà : Ravale un peu ta langue. Elle babillait. Elle babillait. Dans le noir. Contre le noir. Elle parle. Elle rêve. Dans son cauchemar elle parle et aucun son ne sort. Elle hurle de peur. C’est un abime de silence. Sais-tu qu’elle ne dors plus jamais dans le noir ; elle laisse l’ampoule allumée au bout de sa tige, comme une servante au théâtre. Je la vois, elle dort. Sous ses paupières et sur ses lèvres passent les mots. Elle parle encore. Presque sans bruit, elle parle. Elle susurre. Pour ne pas dire les mots du silence. Elle dit. Elle enfouit. Pour ne pas entendre les mots de sa peur . Elle parle. Elle dit. Elle récite. Elle chante: Écoute.

( j’ai pensé à elle, l’enfant, à sa peur-peur du noir-noir peuplé de la chambre d’enfant ; j’ai pensé au bond de l’éléphant devant la souris dans l’album de l’enfant, il connait sa peur on lui avait dit, il peut s’écarter du danger : est-ce que le Cyclope aurait dû avoir peur d’Ulysse ou Goliath de David a demandé l’enfant ; j’ai pensé à l’enfant et la mère joue sur la scène de théâtre et la bouche de la mère devient comme du carton et la langue de la mère a tellement durci que les mots ne peuvent pas sortir, l’enfant ne peut pas la sauver . Et celle qui fauche les mots quand elle ose enfin parler ; et celui qui s’enfuit dans la nuit de la ville alors que tout le monde l’attend dans la lumière avec un enfant à peine né : il y a la peur qui t’empêche et celle qui te propulse on lui avait dit : comment on sait ? j’ai entendu les questions de l’enfant dans la tête de l’enfant : et quand est-ce que tu avais peur et qu’est-ce qui te faisait le plus peur et pourquoi tu n’avais quand même pas peur même si tu avais très peur et pourquoi moi j’ai peur ; est-ce qu’il y a un lien nécessaire entre la peur et la douleur, entre la culpabilité et la peur, entre l’échec… j’ai pensé à la sidération qui est un visage de la peur, j’ai pensé aux peurs induites, aux filles par exemple : pour mieux te tenir mon enfant ; j’ai pensé peur comme arme politique ; un autre texte est venu )

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

13 commentaires à propos de “#boost #03 | silence”

  1. très beau personnage. je l’imagine talentueuse attachante séduisante exaspérante touchante.
    dont la peur rejoint celle du personnage de Marie Moscardini.
    « Elle se couvre de mots. Elle parle. C’est un fleuve. Elle ne peut pas se taire. Elle terre le silence; et si le silence était la peur d’où découlent toutes ses peurs. J’imagine. »

  2. Le silence, parfois ennemi des unes, parfois allié des autres, tout est dit, fort bien dit dans ce texte. Ce qui pose la question du « quand faut-il parler, quand faut-il se taire ». D’ailleurs le rythme même du texte illustre cette question que l’on peut avoir peur de se poser et y répond. En outre, peur de faire moi-même un commentaire par dessus ce qui a déjà été fort bien dit 😉 Merci Nathalie

  3. « Pour ne pas dire les mots du silence. Elle dit. Elle enfouit. Pour ne pas entendre les mots de sa peur. Très touchée par ton texte et ces dernières phrases très émouvantes de détresse. Merci Nathalie.

  4. « Elle enterre le silence. C’est un fleuve. » Que cette phrase est belle! on se demande ce qui enferme ce personnage dans une parole qui ne se dit pas…une peur si effrayante … beaucoup de mystère et de profondeur Merci

  5. les mots qui sortent de la bouche, aident à conjure la peur
    et « elle laisse l’ampoule allumée au bout de sa tige, comme une servante au théâtre. »
    souvent le théâtre, comme une deuxième scène au réel

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