Peur de ma bouche de ma langue de mes dents de ma gorge et des mots rentrés qui voudraient sortir et ne peuvent pas, peur qu’ils m’engorgent, qu’ils pourrissent au fond de moi, peur de mes cris, râlements, raclements, peur de la peur sur le visage de l’autre quand il te croise dans ton cri et tes râles alors que tu voudrais seulement, peur de ne pas sourire assez, peur de ne plus pouvoir être capable de happer le visage de l’autre, peur des yeux fuyants, peur des visages qui se dérobent, changent de trottoir, peur des bouches qui chuchotent pendant les regards, peur des cris et des pleurs d’enfant, peur des mots mauvais, peur des miroirs, peur de ne plus être capable de capturer la beauté d’un visage, d’une voix, d’un paysage, peur de perdre Denis, peur de perdre la main de Denis, et son sourire tranquille, et sa peau toute chaude, peur quand Denis prend la mer, peur qu’il se fasse avaler par la mer quand elle est grosse et mauvaise, peur sans Denis que la terre ne tremble, là, sans prévenir, sans crier gare, et peur dans ce tremblement de la terre de ne pas savoir où est Denis, peur des grands vents, peur des tempêtes et de leurs grandes eaux, peur des cyclones qui retournent la mer et la terre, peur d’ouvrir les yeux sur la dévastation après, peur du volcan, peur des vagues de la Grande Anse qui te fouettent le corps et te renversent dans le bouillon, peur que mes cheveux repoussent, peur de ne plus être capable de faire fleurir ma robe et mon corps sous le regard de Denis, peur de ma folie, peur de la folie de l’autre, peur de ne plus me reconnaître, peur de quitter mon corps, peur de mon appartement vide, peur du silence, peur de la nuit qui tombe et des pensées qui roulent et des images folles qui naissent dans le noir, peur de rater une marche, peur de se dire qu’un jour je ne serai plus capable de faire face, peur de m’aventurer hors du quartier, peur de rater le bus, peur de prendre le mauvais bus, peur des poissons dans la glace et de leurs yeux ronds et figés sur la jetée, peur du soleil qui cuit et fait fondre mon corps sur l’asphalte et danser le paysage, peur d’arriver sous l’ombrage des arbres et de ne pas y trouver Denis et son grand sourire assis sur notre banc, peur d’y rencontrer le gars de la Cathédrale et son errance, et ses yeux fous depuis l’incendie de son squat, peur de perdre la mémoire, peur de la voir pourrir comme mes mots dans la mélasse de mon cerveau, peur de ne plus être capable un jour d’ouvrir la porte de mon appartement de sortir dans la rue et d’affronter les visages, peur de perdre les visages familiers, peur de la disparition.
Codicille : j’ai commencé par l’inventaire de mes peurs (inachevé…) et puis j’ai glissé assez rapidement grâce à elles sur le personnage de la femme aux mots empêchés, je l’ai observée mentalement et j’ai imaginé ses peurs, et en effet, ce faisant, on explore des facettes de soi mais élargies, déplacées, de côté, et c’est puissant…
très beau.
on se prend à espérer que Denis ne disparaisse pas.
« peur de perdre la mémoire, peur de la voir pourrir comme mes mots dans la mélasse de mon cerveau, peur de ne plus être capable un jour d’ouvrir la porte de mon appartement de sortir dans la rue et d’affronter les visages… »
merci Émilie
Merci Véronique pour ta lecture. Oui, pourvu qu’il ne disparaisse pas. Dans un autre texte, il va le lui promettre.
Me fait penser à E. Levé cette explosion des peurs dans tous les sens et sens aussi (le corps qui fond dans l’asphalte) et comment ne pas y reconnaître des peurs universelles ! Merci, et très sensible pour ma part à l’ultime peur, la disparition.
Merci Jacques pour ta lecture ! La peur de la disparition est venue rapidement et rapidement je savais que ce serait le mot de la fin.
Merci d’avoir enregistré ta lecture, ça donne une autre dimension au texte, ça me donne envie de faire de même !
Merci Rebecca ! Certains textes, j’ai vraiment envie de les mettre en voix. Pas tous. J’aime bien l’exercice. Oui dans la lignée de tes poadcasts ce serait chouette !
j’aime beaucoup aussi ta lecture calme et rythmée
Merci Cécile pour ton retour !!!
Complètement d’accord avec les filles, merci d’avoir enregistré, c’est magnifique, et merci pour toutes ces peurs et ces images poétiques.
Merci Clarence, merci les filles, au plaisir de vous entendre aussi ! Le texte de Christine et cette proposition m’ont profondément remuée, j’y tiens, alors vos retours me font chaud au cœur.
On est sous apnée à l’écoute de toutes ces peurs : merci pour cette lecture à voix haute.
« peur de perdre la mémoire, peur de la voir pourrir comme mes mots dans la mélasse de mon cerveau, peur de ne plus être capable un jour d’ouvrir la porte de mon appartement de sortir dans la rue et d’affronter les visages, peur de perdre les visages familiers, peur de la disparition. »: cela résonne…
Très beau, j’aime beaucoup « peur des poissons… » et « peur du soleil… »
Et en allant sur le blog, je découvre ta lecture, d’accord avec Rebecca, une autre dimension.
Et merci pour ta lecture de mon texte sur le visage, je vais faire les publications sur le blog, j’aime lire le PDF mais je me rends compte que les échanges sont aussi très riches.