Il la voulait, il la cherchait partout dans le monde. Il voyageait, il pilotait, il naviguait, il sautait en parachute, il grimpait en haut des plus grands sommets, il escaladait, il traversait le Grand Nord en solitaire, et il ne l’avait jamais trouvée. Sa peur était de ne jamais la connaître, il aurait tant voulu en avoir au moins une, celle du noir, du loup, du monstre sous le lit, de la tempête, des fantômes, de l’orage, de la solitude, du dentiste ou celle tout simplement de ne pas grandir, mais non il n’avait pas peur. Jamais. Parfois cela le rendait triste, il imaginait que ça devait être bien d’avoir quelqu’un qui aurait pu le rassurer s’il avait eu peur. Alors il imaginait. Et à force d’imaginer, une peur comparable à nulle autre est arrivée, la peur du néant. Il avait beau se dire qu’il n’y avait aucune raison d’en avoir peur puisque selon la définition du dictionnaire le néant n’était rien, mais ce rien lui faisait peur. Lors de soirées entre copains où chacun racontait ses peurs, on lui demandait et toi de quoi as-tu peur ? Il répondait de rien. Ça paraissait prétentieux. On lui disait tu as bien de la chance de n’avoir peur de rien. Il avait une ou deux fois tenté d’expliquer que ce rien était le néant et que ce néant était le rien qui lui faisait peur, son public s’était vite désintéressé de ses explications. Alors il était retourné à ses voyages, à sa vie trépidante à ses sports extrêmes, à sa vie à cent à l’heure puisqu’il n’avait peur de rien.
Codicillle
Je cherchais des peurs pour un personnage et ce texte est venu.
Merci d’ouvrir ainsi Marie. Le texte vit. Cette tristesse de ne pas éprouver ce qui semble si commun… Il me semble que je le reconnais .
Merci Nathalie pour ta lecture. Ton ressenti me touche beaucoup.
Magnifique ce texte la peur du rien ça parle toujours, merci
Raymonde, il faut que j’aille voir comment vont les peurs des autres textes et les tiennes. Merci pour ta lecture.
c’est vrai qu’il y a du regret à n’avoir peur de rien, qu’il y aurait du regret à avoir de n’avoir peur de rien. très joliment dit, amené. de la peur de rien à la peur du rien même. merci Marie.
on dit qu’aujourd’hui les sports extrêmes prospèrent, où des corps défient la gravité, éprouvent l’air, s’éprouvent vivants, à l’abri du néant d’être.
Merci Véronique pour ta lecture et pour le cadeau de ces mots : à l’abri du néant d’être..
Hé bien , ce texte a bien fait de venir! c ‘est très intéressant ce retournement de point de vue. Ce travail sur le rien et le néant et l’ incompréhension du groupe…C « est presque une fable. Merci
Oui finalement c’est une petite fable que je n’avais pas préméditée. L’imprévisible de l’écriture m’étonne toujours et continue de m’enchanter. Merci Carole pour tes mots.
Terrible Marie ! J’ai connu qqn qui n’avait peur de rien. Il s’est tué en montagne à 36 ans, c’était mon frère. Passée l’adolescence, son insatiable goût de vivre dangereusement l’isolait des autres.
Oh je ne pensais pas réveiller un tel souvenir. Très touchée que tu le partagés ici. Merci Danièle.
Très intéressant la peur de » rien », un « rien » qui prends consistance , alors qu’il n’y a rien … juste un abime ? Demeure un mystère : peut-on inventer une peur juste pour le plaisir d’être consolé ? Merci pour ce texte