#boost #03 Jeanney, | De rien

Il la voulait, il la cherchait partout dans le monde. Il voyageait, il pilotait, il naviguait, il sautait en parachute, il grimpait en haut des plus grands sommets, il escaladait, il traversait le Grand Nord en solitaire, et il ne l’avait jamais trouvée. Sa peur était de ne jamais la connaître, il aurait tant voulu en avoir au moins une, celle du noir, du loup, du monstre sous le lit, de la tempête, des fantômes, de l’orage, de la solitude, du dentiste ou celle tout simplement de ne pas grandir, mais non il n’avait pas peur. Jamais. Parfois cela le rendait triste, il imaginait que ça devait être bien d’avoir quelqu’un qui aurait pu le rassurer s’il avait eu peur. Alors il imaginait. Et à force d’imaginer, une peur comparable à nulle autre est arrivée, la peur du néant. Il avait beau se dire qu’il n’y avait aucune raison d’en avoir peur puisque selon la définition du dictionnaire le néant n’était rien, mais ce rien lui faisait peur. Lors de soirées entre copains où chacun racontait ses peurs, on lui demandait et toi de quoi as-tu peur ? Il répondait de rien. Ça paraissait prétentieux. On lui disait tu as bien de la chance de n’avoir peur de rien. Il avait une ou deux fois tenté d’expliquer que ce rien était le néant et que ce néant était le rien qui lui faisait peur, son public s’était vite désintéressé de ses explications. Alors il était retourné à ses voyages, à sa vie trépidante à ses sports extrêmes, à sa vie à cent à l’heure puisqu’il n’avait peur de rien.

Codicillle

Je cherchais des peurs pour un personnage et ce texte est venu.

A propos de Marie Moscardini

«Après une formation à Aleph en 2014, j'anime des ateliers d'écriture dans une petite ville de Saône et Loire.» Voir son site Nouvelles à écrire.

11 commentaires à propos de “#boost #03 Jeanney, | De rien”

  1. c’est vrai qu’il y a du regret à n’avoir peur de rien, qu’il y aurait du regret à avoir de n’avoir peur de rien. très joliment dit, amené. de la peur de rien à la peur du rien même. merci Marie.

    on dit qu’aujourd’hui les sports extrêmes prospèrent, où des corps défient la gravité, éprouvent l’air, s’éprouvent vivants, à l’abri du néant d’être.

  2. Hé bien , ce texte a bien fait de venir! c ‘est très intéressant ce retournement de point de vue. Ce travail sur le rien et le néant et l’ incompréhension du groupe…C « est presque une fable. Merci

  3. Terrible Marie ! J’ai connu qqn qui n’avait peur de rien. Il s’est tué en montagne à 36 ans, c’était mon frère. Passée l’adolescence, son insatiable goût de vivre dangereusement l’isolait des autres.

  4. Très intéressant la peur de  » rien », un « rien » qui prends consistance , alors qu’il n’y a rien … juste un abime ? Demeure un mystère : peut-on inventer une peur juste pour le plaisir d’être consolé ? Merci pour ce texte

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