La première était d’un fer forgé peint de bleu celui qu’on retrouve dans les îles grecques et donnait accès à une cour là se tenait J2 blanche d’un étage l’escalier montait à la maison au-dessus du garage sur des espèces de pilotis une villa derrière laquelle on voyait au fond des figuiers de barbarie devant un mur blanc au haut duquel avaient été fichés des tessons de bouteilles. La suivante était rue de Mexico en fer forgé tout autant (ce mot « forgé » a quelque chose à voir avec les propriétaires de la maison à A. qui vivaient en face sur le coin opposé de la rue) et donnait dans le petit jardin à droite une fontaine tête de lion un petit filet d’eau toujours tari au fond la remise aux carnets de comptabilité du magasin et à gauche la porte de la cuisine sous les escaliers où pendaient des boutargues. La troisième était noire et de service un escalier montait au deuxième où se trouvait le cabinet du médecin qui était aussi l’oncle de mon père et qui nous vaccinait contre la poliomyélite on s’en allait avec ces maux aux épaules qui ne cessaient pas de deux ou trois jours. C’est sans souvenir de celle du Super-Constellation non plus que de celles de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur ou d’Orly mais du bleu nuit de celle arrière de la 403 oui et des vitres où passaient l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois (quel nom bizarre) du café du coin (le Corona qui a changé de nom on n’y voit plus Modiano et son père) et le pont dit Neuf parce qu’il était nouveau et non le carré de trois. Celle de la maison de A. était au 141 et de bois de verre et de fer mais on ne l’empruntait que peu on passait par le garage petite en bois assujettie de gonds à sa voisine qui ne s’ouvrait pas le tout sur un rail qui permettait l’ouverture et autorisait le passage de la 403 d’abord de la Fiat mille-cinque-cento bleu clair de la station-wagon Peugeot 404 grise puis de la Renault seize bleu clair et enfin du caddy bleu et blanc dont on limait le joint de culasse pour en augmenter la puissance comme on mélangeait au mixte huile et essence un peu de celle de ricin qui pétaradait dans les rues du quartier. Il y avait celle qui menait à la cour et au petit pavillon de deux étages sur l’esplanade la petite porte de service sur le côté droit de la grande noire qui s’ouvrait aux voitures des propriétaires de l’immeuble sur la droite (il y vivait un couturier aux longs cheveux blancs au dernier étage terrasses et vues sur le fleuve – c’était au 7). Celle marron du trente-deux s’ouvrait sur le couloir il y en avait une autre d’aluminium et de verre mais avant celle de la boite aux lettres dans les beiges où on attendait une carte postale de toi. Ensuite c’était encore au 7 cochère bouton pression groom petit hall mesquin porte vitrée à mi-hauteur dans les verts au premier vivait la proprio pimbêche atrabilaire acariâtre et j’en passe au quatrième madame P. qui me disait il est gentil il ne m’appelle pas mémère on vivait au troisième porte gauche en face une même porte verte deux pièces vides à droite celle des amis qui bientôt mettraient au monde un puis deux enfants. La suivante est au dix-huit dans la rue parallèle non loin du square et de l’église et de l’appartement de l’ami photographe on entre dans un hall sans charme on monte jusqu’au quatrième la porte à droite est chez une vieille dame portugaise et charmante celle de gauche donne directement dans la cuisine sous les toits à droite une chambre où dormira bientôt la première puis en enfilade la chambre nouvellement donc parents dans laquelle s’ouvre une petite salle de bain et des toilettes portes blanches comme murs une fenêtre dans chacune des pièces. Le numéro en a disparu l’accès tout autant six mois durant endurer l’imbécile du rez-de-chaussée et l’insomniaque du deuxième un appartement il n’y en a qu’un par palier appartement qui est venu d’une professeure de piano ou quelque chose des démarches à n’en plus finir l’arrivée de la deuxième fille. La porte doublée d’une autre cuir moletons boutons en quinconce bordeaux qui s’ouvre sur le bureau du maire qui nous accueille chaleureusement (comment ce rendez-vous a-t-il été conçu préparé obtenu est une énigme) l’homme est grand de taille nous assure de sa sympathie nous indique qu’en général il lui faut six à huit mois pour obtenir ce que nous cherchons ça devait être avant l’épisode du premier étage et de l’abruti du rez-de-chaussée bières hard rock cuirs bagues tête de mort et tatouages. Au vingt ce sera la dernière elle a été ajoutée arrive à la hauteur du cou fer noir puis une autre fer et verre puis le hall celles des boîtes aux lettres toujours une autre de verre d’acier puis encore une puis celle de l’ascenseur puis à droite d’un mauve vaguement rosé le couloir à droite la cuisine grande où on mange à gauche le salon tout est neuf le gardien indique qu’il a choisi les couleurs des murs des halls et des escaliers on le surnommera le führer on croise souvent des salauds des idiots des mégères plus rarement des gens bien mais en face sur le palier un couple Guinée Conakry Bénin ou autre quelque chose du genre la femme adorable grande forte riante le type petit buvant de la bière cherchant la bagarre et la trouvant un matin dans la rue les excuses et puis la disparition brutale de cette femme dont je ne connais pas le prénom on l’appelait mama comme ma mère la sienne et puis les enfants qui aujourd’hui sont partis la porte et son pas usés et d’autres qui naissent et d’autres encore
ce sont les numéros en lettres ou en chiffres - ce sont les parenthèses - ça aurait pu être des tirets comme des paillassons - il y manque celles innombrables des trains, des avions des autobus et des métros - automatiques ou pas - celles des écoles lycées facultés annexes et bibliothèques lieux de travail, celles que mon amie Maya avait prises pour thème de son dossier d'entrée à la Fémis - celles des maisons des amis, des maisons louées ou des hôtels celles des îles des villes qu'on aime (quatre-vingts à Paris ou bien ?) comme celles des maisons de celles et de ceux qu'on aime ou qu'on a aimé.es aussi on passe on franchit le seuil on entre c'est ici
J’aime dans ton texte la sensation d’être entourée totalement de toutes ces portes et comment on les ressent sans les pousser et j’aime aussi les parenthèses, je me suis dit « comme si on regardait par le trou de la serrure » comme déployer un tout petit peu plus le paysage.
@Rebecca Armstrong : merci à toi Rebecca – je me suis demandé (pas trop longtemps non plus stuveux) si les parenthèses comme les accolades les guillemets les tirets faisaient partie de la ponctuation…
merci de nous convier à les découvrir vos portes (avec une tendresse pour la première et le jardin, un peu de crainte pour d’autres, la décsion de sourire tout de même parfois)
@brigitte celerier : oui la même tendresse – oui…Merci à vous Brigitte