#boost #02 | portes (la fabrique des rêves)

enfant il était un endroit que je regagnais parfois où je parvenais en poussant dans la porte dérobée d’un mur dans la cage d’escalier que rien ne laissait deviner que j’étais seule à connaître je me souviens de la grande ouverture déchirure du sentiment d’être petite de l’extraordinaire d’un mur qui s’ouvre de la profondeur des espaces qui s’ouvraient à moi comme une succession ouverte en éventail de pièces d’espaces de vie d’appartements que j’explorais lentement où je rêvais de pouvoir m’installer et vivre qu’aucune lumière du dehors ne pénétrait sans qu’il y fasse complètement sombre où je ne rencontrais personne dont les lieux se modifiaient quelque peu à chacune de mes visites c’était comme un rêve si ce n’est que ce n’en était pas un j’avais d’autres secrets semblables.

la porte est ouverte brisée une petite vitre est brisée la double porte vitrée est brisée je la passe mon frère est dans la cour enfant ses courts et doux cheveux roux ses lunettes fines ses grands yeux bleus dans le vide  il ne dit rien je vois sa frêle silhouette immobile en culottes courtes il tient une main devant lui je regarde le sol et vois du sang qu’il ne voit pas un goutte à goutte il est possible que je le lui désigne le sorte ainsi de sa torpeur qu’il tressaille d’effroi il est possible que j’éprouve aujourd’hui encore une sorte de honte à lui avoir montré le sang alertée ma mère appelle une ambulance.

de sa petite cuisine premier étage côté cour une porte donne sur le vide barrée seulement d’un garde-corps assez bas personne ne passe jamais cette porte sauf un mainate il est vrai je me souviens de son vol du chaton qui s’aplatit au sol lui se perche sur l’armoire qui barre la deuxième porte de la petite cuisine de ma mère il ne fréquentera pas les autres pièces où pourtant elle essaie de l’attirer ne passe pas la porte qu’il n’y pas vers la salle à manger dans l’entrebâillement de laquelle devant un miroir ma mère me brosse les cheveux le matin le soir me coiffe fait et défait mes nattes le mainate reste quelques jours dit quelques mots ma mère s’y attache il repart par où il était venu c’est le printemps nous regardons par la porte-fenêtre croyons le voir dans le jardin au grand chêne.

de cette poignée de porte je ne sais plus rien est-elle blanche ou dorée sur laquelle pourtant ma main repose longtemps moi accroupie dans l’ombre du couloir puis que j’enclenche j’ouvre la porte du salon ou j’ouvre la porte de la salle à manger selon les sons espionnés perçus entendus de leurs conversations je n’arrive pas à dormir et suis redescendue trouver mes parents j’invente cette sale histoire que mon frère me réveille je me fais consoler reçois une tasse de lait chaud je le referai plusieurs fois jusqu’à ce que mon père n’interroge le mince enfant et que face à l’innocence extrême que dégagent ses yeux ses yeux bleus sa stupéfiante beauté ne découvre le pot aux roses mes mensonges.

la porte peinte blanc écru qu’il faut pousser de l’atelier de mon père dont on traverse la première pièce celle où se trouve le grand canapé-lit où il nous sermonne quelquefois gentilsérieusement qui donne sur la rue pour parvenir à la salle de bain autre porte blanche écrue pièce de la longueur de la baignoire de la largeur de l’évier surmonté probablement d’un petit néon qui clignote parfois fenêtre où descendent des stores métalliques toujours baissés sur le tapis après le bain parfois je m’agenouille me recroqueville sous une grande serviette qui me recouvre entièrement et j’attends de sécher je viens de me souvenir qu’il y a là aussi des toilettes. c’est dans la deuxième pièce de son atelier que mon père je crois interroge mon frère et s’éblouit du bleu de ses yeux et de son innocence une innocence qui rend coupable quiconque l’aperçoit qui le frappe jusques au fond du cœur c’est dans l’entrebâillement entre ces deux pièces entre les portes grandes ouvertes que je me tiens également mais beaucoup plus tard lorsque dans le contre-jour mon père me parlera de mes péchés mortels je me souviens de flots de lumière de la poussière qui s’y tenait en suspens.

porte de rue porte de rue vitrée devant laquelle mon père me tend riant une lettre que je me suis écrite à moi-même porte de bois blond devant laquelle je suis avec ma mère qui me presse de sortir pour aller à l’école et je ne sais si je formule la crainte de me montrer dans ma nouvelle jupe d’uniforme je n’ose passer la porte je ne le veux tellement pas une jupe portefeuille un va-et-vient de passants se devine derrière la vitre de verre bullé couverte d’une grille en fer forgé au soir cette même porte par ma mère refermée sur moi revenant de l’école je me plains de mes dents je veux porter un appareil je veux un appareil elle me raconte qu’elle porte un dentier et quelle porte de salle de bain vitrée de carreaux colorés lui a été claquée au nez et la douleur nous sommes debout sur le paillasson encastré dans le marbre du sol.

au fond de cette entrée marbrée paillassonnée il y a la porte ou son absence ou son oubli en haut des 3 marches qui descendent vers la salle de jeu 3 marches au-dessus desquelles est suspendu le porte-manteaux et les poches que je fais de mes parents sous un tableau qui me regarde ecce homo me procurant un complément d’argent de poche je suis une voleuse cette porte passée les marches descendues voilà la haute armoire brune où je cache le fruit de mes larcins des bonbons voilà la porte de cave vitrée dont je descends quelquefois l’escalier les 3 caves que j’explore une à une qui reviennent souvent en rêve et là en face de moi à quelque 4 ou 5 mètres l’entr’ouverture de la porte également vitrée à quatre carreaux sur la cour chaulée blanc juste à ma gauche la petite porte du monte-charge que nous n’utilisons pas l’étage s’appelle cuisine-cave[1] c’est l’étage anciennement des domestiques pour nous devenu étage de la salle de jeu et là sur la gauche à 3 pas la porte de la salle de jeu à proprement parler porte vitrée à 4 carreaux et imposte que j’ouvre et trouve mes frères 2 qui jouent ma mère là fait ses lessives et m’enseigne le piano et m’énerve il y a l’armoire aussi à droite de la cheminée du haut des 2 mètres de laquelle je m’amuse à sauter dont je rêve une fois rêve inoubliable où sur son dessus je découvre les cendres d’un génocide c’est l’armoire jumelle de celle des recels de mes larcins dans la pièce à côté.

la porte de ma chambre sous les toits j’ouvre et vois la lucarne voilée de trois jolis rideaux posés par mes parents par où un homme qui m’attend à la sortie de l’école puis qui m’entraîne dans sa rue que je n’ai pas suivi chez lui m’a dit qu’il me rejoindrait la nuit sans doute mes parents furent-ils par moi prévenus car je ne le vis jamais plus derrière moi la porte ouverte de la chambre de mes deux frères la porte close de la chambre de mes parents à droite la porte du grenier qui s’ouvre sur une pièce aux immenses hauteurs que j’explore parfois à l’instar de la cave et dont je rêve aussi souvent la très haute et dangereuse et interdite échelle qui mène à une étroite galerie tout y est brun sombre poussiéreux encombré de cartons cuisses coffres aucun objet en particulier dont je me souvienne. au final la petite barrière devant les escaliers que je descends la nuit à l’adolescence les heures que ça prend le cœur qui bat la cham les marches craquent pour prendre la porte de rue la double porte de rue vernie blonde.

[1]  cuisine-cave : en Belgique, cuisine construite en sous-sol ou en rez de jardin dans une maison surélevée.

codicille: sceptique, ne pensant pas y arriver, j’ai commencé par noter ce qui venait, ce qui revenait. toujours ennuyée quand il s’agit d’autobiographique, toujours apeurée, dès ce que j’ai réalisé que je pouvais rester dans la maison, dès que j’ai pensé être à l’abri, à l’abri des trous de mémoire ou de ce qui pourrait en surgir, j’ai décidé de m’approprier la consigne et de faire le tour de la maison par les portes.

A propos de véronique m

même si je perds le fil, je m'en sors plutôt bien mal.

9 commentaires à propos de “#boost #02 | portes (la fabrique des rêves)”

    • Merci beaucoup Catherine pour ton passage. Les images sont très vives pour moi, très nettes.
      La première porte est bien une porte dans le mur à laquelle je croyais, qui existait pour moi et dont il est probable que je rêvais. En journée, ce lieu me revenait parfois en mémoire, comme un lieu secret auquel je retournais quand je voulais.

  1. j’ai été prise par le mouvement, les longues phrases sans ponctuation à respirer dans la brièveté des fragments ( long court ) ces « cut « sur un moment avec leur tension ( et pas seulement les descriptions d’un espace ) sans avant ni après, morcellements ( le sang les yeux bleus le mainate l’atelier du père la jupe portefeuille…l’homme) qui nous rapproche et écarte le sentiment d’intrusion dans l’intime . Merci.

  2. j’ajoute…

    Été embarrassée cette fois par la consigne. Le suis souvent il est vrai. comme faire qu’elle « disparaisse » et que le texte trouve sa propre nécessité intérieure.

    il y a vraiment quelque chose qui s’appelle peut-être simplement l’oubli, rien de plus, qui m’empêche d’envisager tranquillement d’aller vers le passé. qui me fait paniquer. donc, c’est l’oubli et c’est autre chose. c’est l’angoisse peut être qui touche à cet oubli. c’est l’histoire qui pour moi est une boule de papier chiffonnée. qu’il faut déplier. des milliers en fait de boules chiffonnée mélangées oubliées qu’il faut déplier, déchiffrer, réassembler. mais pour quoi serait-ce angoissant. je ne sais pas.

    ce qui serait angoissant, ce serait de déplier et de rien lire rien découvrir rien reconnaître. donc, je ne sais pas.

    enfin, je dis ça dans le codicille.

    ces petits travaux m’occupent longtemps et je cherche encore. j’ai tendance à me fier au hasard.

    cette fois ci j’étais heureuse que le motif du verre, de la porte brisée, ait par hasard fait lien interne au texte. et que quelque chose se dise de la protection du dedans du cocon familial, d’une présence protectrice des parents et d’une certaine menace du dehors. heureuse aussi que la maison prise par les portes ces maison d’enfance se soit avérée terreau de tant de rêves. par son exploration intérieure. et la maison qui s’offre presque comme extension du corps.

    la consigne était très forte, très belle. c’est pas là le problème évidemment. si ce n’est celui d’arriver à la hauteur.

    l’autre difficulté, c’est quand le souvenir remonte dans sa vivacité, sa présence sa prégnance sa transparence. pour soi soudain la chose est là, quelque soit le mot qu’on y mette, c’ est là, mais quel mot la fera advenir à l’autre sans l’écraser, dans sa qualité d’image aussi, d’apparition derrière la porte…

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