Recroquevillée dans le fauteuil trop profond pour son petit corps d’enfant l’écran lui fait peur. Pas une porte un écran. Un écran qui fait peur. Salle sombre couleurs obscures enfants perdus robe rouge de Miette dont la jupe aux grandes fronces virevolte. Onze ans douze ans le film vient de sortir dans certains pays interdit aux moins de douze ans. Géant doux qui porte Miette barque bousculée par les flots noirs. Atteindre quelque chose une ile là-bas derrière l’écran. Envie de fermer les yeux de ne pas voir. Peur de montrer qu’elle voudrait être ailleurs pas là dehors sur la plage de Cassis en vacances. Main qui se pose sur son genou. Tremblement. La main remonte sur sa cuisse sous sa jupe. Ne dis rien tétanisée ferme les yeux. Monte encore plus haut. Touche et caresse s’insinue s’immobilise reste. Ça dure longtemps. Écran noir. Ne t’en fais pas il n’y a rien de mal juste un câlin. N’a pas aimé le film ne peut rien dire d’autre ne peut pas expliquer pourquoi fait trop peur colère si on lui demande plus. Porte d’un bureau celui de son beau-père refermée sans bruit mère absente.Tétanisée ferme les yeux le laisse faire avance frôle mains doigts en elle. Traquée porte de son bureau piscine. Ferme les yeux tétanisée. Se sent comme une proie. Traquée. Avoir honte se sentir sale peur de faire mal peur de mal faire. Colère. Le laisser faire ne pas y penser fermer les yeux s’absenter être ailleurs. Douze ans treize ans toujours ça dure toujours. Se laver se baigner c’est l’été. S’habiller comme en hiver pour se cacher. Colère si on lui pose la question. Tu es jolie pourquoi toute cette colère. Si triste. Ne rien pouvoir dire à personne. Peur de faire mal peur de mal faire. Tout dire du beau-père impensable. Ne rien briser. Plutôt se briser s’anéantir exploser. Porte de son bureau piscine encore. Personne ne voit rien. Être assez grande pour pouvoir s’échapper sans se justifier. Surtout ne rien dire. Partir. A dix-sept ans parle enfin à un oncle il se suicide peu après. Coupable se sentit coupable ne plus rien dire à personne. Jamais ferait trop de peine. Peut porter seule le fardeau alors que se déclare en plus la maladie de sa mère. Porte de la chambre d’hôpital où sa mère meurt. Parle enfin. Porte plainte vingt-trois ans plus tard. Porte de la gendarmerie. Porte de l’avocat. Porte du juge d’instruction se déclare incompétent. C’est le confinement pas de nouvelles.Dit enfin haut et fort l’inceste. Ne cache plus rien a réussi à faire paraître un article dans Le Monde où elle s’appelle Jeanne P. « le parcours du combattant de Jeanne P. victime d’inceste, sans nouvelles de la justice depuis deux ans ». Porte du deuxième juge d’instruction. Témoins parler raconter avoir mal soutiens avoir mal malgré les soutiens. Témoins la femme de ménage qui partaient en vacances avec la famille le frère qui était très petit le notaire l’ami de la famille. Ceux qui veulent bien parler et ceux qui ne veulent pas. Parler encore. Redire toujours les mêmes choses. Porte du tribunal qui ne s’ouvrira pas. L’homme s’est suicidé après avoir reconnu les faits. Cherche à comprendre son histoire et à se reconstruire. Elle a quarante et un ans. Elle vit et travaille hors de France.
5 commentaires à propos de “#Boost #02 La cité des enfants perdus”
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Il y a des textes qui laissent sans voix… comme celui-ci… mais la dureté, la douleur, la volonté de protéger les autres mais de dire, de chercher justice pour soi, faire entendre sa voix… tout est finement déplié…
Merci Annick. L’histoire est tellement terrible qu’il faudrait faire mieux.
Non c’est très bien, c’est écrit avec sincérité…
Et je pense à ce roman un peu oubliée de Christiane Rochefort « la porte du fond » qui m’avait saisie alors, comme ce texte me saisit
Merci Catherine. Merci de rappeler aussi Christiane Rochefort.