# Boost # 02 | de l’une à l’autre

La géante de vieux chêne qu’on pousse après les marches du perron révèle le couloir aux losanges froids, épousé par un coffre à jouets long et massif au couvercle si lourd, du même bois que la porte. D’elle oubliée surgit à présent juste une impression, comme un livre debout : dans l’angle, le lit donne sur la fenêtre, laquelle s’ouvre sur la page du chien qui se transforme en loup et s’échappe dans le domaine magnifique où il est abattu. Au bout de l’autre couloir aux sons assourdis par le long tapis, à Reims, chez mamie qui comprend presque tout, la porte du fond ne ferme pas et le serin chante dans sa cage. Après déménagement, celle des Granges en bas fait penser à la porte d’une serre avec verrière et géraniums paternels : on entre sans transition par la cuisine, offrant sur la gauche une cuisinière à mazout, l’odeur du fuel qui flotte pendant le petit déjeuner, les cercles de la cuisinière, avant le départ vers l’école puis vers le lycée comme s’il fallait échapper au retard, fuir quelque chose. Celle du premier étage, à gauche après l’armoire qui plombe l’espace et amortit le moment où il faut tourner la poignée sans faire de bruit quand on rentre tard dans le noir après les vertiges adolescents et que la porte juste après est celle de la chambre des parents. Porte de l’écuyer, en bas, dans son écrin de pierres, prenant la chaleur avec toi appuyée contre elle qui fait semblant d’être fermée pour mieux s’ouvrir sur le bel escalier aventureux, et sur la salle lambrissée, concentrée autour de la cheminée rayonnante. Vient un portillon qui barre le passage mais on entre dans le jardin en passant par la brèche et c’est là que le poète vient voir qui joue de la musique dehors en pleine nuit avant de t’introduire par la grande porte de sa maison dans laquelle tout de suite, tu embrasses du regard la vaste salle, avec table longue pour accueillir les Transparents, ceux de la route. Celle qu’il ouvre doucement quand tu donnes les trois petits coups rituels et qu’il t’entraine près de la table de travail où vient de naitre l’île nue dans un parfum d’encens, d’eau sauvage et de fibres de coco. S’impose, un jour de larmes, la vieille porte fracassée par un enfant malade qui ne sait plus s’il entre ou sort par le sas aux épis accrochés à côté des trois femmes dessinées de dos, enveloppées dans leurs grands châles. Celle qui l’a remplacée, serrure trois points, vitrée, en bois traité, couleur ocre jaune, qu’on ferme en levant la poignée pour enclencher la sécurité en ayant la possibilité de deviner la personne qui se présente à l’extérieur et se retrouve comme avant au même endroit. Porte de l’étage, comme toutes les autres, bleu vert, avec juste un numéro discret, pour ne pas risquer l’invasion, quand de l’intérieur tu l’ouvres doucement, à ceux qui savent ou devinent, pieds nus dans l’entrée entourée de murs tapissés d’un rouge sombre sur lequel ressortent quelques astres en dentelle de Burano. Porte de la chambre, blanche, portant au recto une affiche de l’exposition Sarah Bernhardt, visage intense de l’embarquement et au verso, le reflet du couchant qui allume aussi les livres, le marouflage Gris de Payne le long du lit, la loupe à main posée sur la lettre tant de fois relue une fois la porte close.

Codicille : C’est comme avancer en rappel, à l’aveugle au fil de l’avancée, avec au fur et à mesure, la propagation d’une forme et d’un accès dans le même mouvement, le franchissement des frontières, petite ouverture ou suite.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

2 commentaires à propos de “# Boost # 02 | de l’une à l’autre”

  1. traversée avec personnages attachés aux pièces où donnent ces portes, c’est tout en nuances, on lit et relit pour être sûr d’avoir tout perçu, impressions de passé et métamorphoses avec ce temps enfui sauf pour la géante en chêne, immuable
    (oser supprimer les virgules ? comme un autre seuil à franchir ?)
    bien à toi, Christine

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