#boost #02 Beckett | Passages obligés

Pousser la porte sans poignée d’un grand coup d’épaule se retrouver dans l’obscurité perdre sa trajectoire respirer une odeur de moisi se boucher le nez chercher en vain la lumière étirer les bras poser une main sur un mur glacé et humide avoir peur se raisonner.traverser ce couloir dans le noir tu l’as déjà fait encore quelques pas tu trouveras l’autre porte face à toi déjà tu les entends.ils t’attendent ils savent que tu arrives enfin ouvrir l’autre porte attention la marche éblouie par la lumière tu risques de tomber ils se précipitent vers toi tu les caresses ARRÊTEZ d’aboyer leur dit sa voix ARRÊTEZ laissez là passer je suis arrivée. Les deux grandes portes sont ouvertes, une petite lumière rouge sous une croix guide mes pas ils sont tous là ils me regardent.je ne les vois pas je me tiens droite dans ma robe de première communiante. Au milieu de la porte en bois une enseigne en fer blanc annonce « Entrez sans frapper » la poignée ne résiste pas à mon geste la porte s’ouvre stridentes assourdissantes percutantes sont les notes du bruit de la machine à bois qui trône dans la menuiserie je me bouche les oreilles un énorme tronc d’arbre se fait débiter ses copeaux s’envolent avant de tapisser le sol de terre battue les parfums de bois de résine de forêt m’enchantent où est-il mon grand-père mon ventre à faim je crie je l’appelle il ne m’entend pas enfin il m’aperçoit Grand-mère te fait dire que le repas est prêt il lève les yeux vers une énorme horloge toute poussiéreuse il est 13 h apparemment il a compris. Deux grosses pointes sur cette porte de derrière, elles servent à attacher les pattes des lapins avant de les dépecer c’est une porte triste je soulève le verrou j’entre dans une pièce sans fenêtre où on cultive des endives et où sont rangées pour l’hiver les conserves stérilisées de haricots verts et petits pois je traverse avec hâte cet endroit sombre passage obligé pour réussir ma mission et me dirige vers une autre porte fermée je sais où est la grosse clef je soulève un panier en osier elle est bien là c’est vraiment une énorme clef couleur de rouille elle grince de vieillesse à son entrée dans la serrure et puis miracle ça marche j’entre je cherche l’interrupteur du bout des doigts enfin la lumière les barriques sont là alignées je dois trouver la bonne je la repère au robinet en bois qui dépasse de son flanc arrondi je prends ma bouteille vide met le goulot sous le robinet elle se remplit de vin une envie irrépressible de faire pipi me saisit personne ne me verra alors pourquoi ne pas m’octroyer une petite rivière qui coule à mes pieds se frayant un chemin sur la terre battue de la cave, la bouteille de vin est pleine j’ai remplit ma mission. Après 19 h la porte sera fermée c’est un ultimatum ne pas être en retard je sonne la concierge vient m’ouvrir je traverse la cour aux quatre chênes et me dirige vers une immense porte vitrée à deux battants donnant sur une grande entrée avec à gauche les salles d’études et en face un gigantesque escalier qui me conduit à ma chambre je suis dans le dortoir des grandes avec chambre individuelle j’ouvre ma porte elle n’est pas fermée à clef je pose ma valise sur le lit, c’est un dimanche soir à l’internat.

Codicille

En passer par elles les portes, s’y perdre parfois, s’y retrouver parfois.

A propos de Marie Moscardini

«Après une formation à Aleph en 2014, j'anime des ateliers d'écriture dans une petite ville de Saône et Loire.» Voir son site Nouvelles à écrire.

8 commentaires à propos de “#boost #02 Beckett | Passages obligés”

  1. et derrière tes portes, ces personnages qui ont tant compté, ces odeurs qu’on partage avec toi, qu’on a même peut être en commun, tout comme la tristesse d’ailleurs
    et le miracle du « sans virgules »…
    merci Marie

    • Le sans virgules s’est imposé facilement. La lecture à.voix haute pour trouver la musique, le rythme m’a confortée dans ce choix meme si ça mériterait encore une ou deux corrections. Merci toujours pour tes mots Françoise

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