ST1
Même au quatrième étage, même au cinquième étage, même au sixième étage, même au quarante-deuxième étage, la terre nous tient les corps par-dessus les uns des autres. Elle te pousse vers le haut. Elle pourrait te pousser à droite, à gauche, te tirer vers le bas. Non. Elle pourrait te garder dans son ventre, comme les vers de terre, les pommes de terre, les truffes. Non. Elle a fait le choix de te propulser au-dessus d’elle, comme les primevères et les babouins, en direction de ce qui est appelé soleil, ciel, et que tu as toujours su se trouver au-dessus de toi. Puisque la terre, dit-on, est en bas, tu te diriges vers le haut. Logique. Lorsqu’on te parle de l’attraction terrestre, tu fronces les sourcils. Parfois, tu fais une mauvaise chute, tu te retrouves nez à nez avec la terre, tu as mal. Lorsque tu marches pieds nus, tu as froid, tu as chaud, ça pique, c’est sale. Petit enfant, tu tombais, tu rampais, tu te roulais dans la terre et tu la mangeais. C’était mal. Tu n’aimes pas être trop bas. Logique. Tu évites la terre qui fait mal. Et puis, dit-on, l’enfer se trouve dans cette direction. Chausse-toi, tu vas attraper la mort.
ST2
Autour du vide, il y a la terre. Autour de la terre, il a du vide. La terre donne, se donne. Elle est prise, elle prend. Elle est avec, elle est dedans, matière de toute matière. Pas dehors, pas optionnelle. Elle est lieu. Charge en charge, elle espace et charge l’espace. Elle se serre en elle-même, crée le poids de la terre qui est la terre. Étendue et limite, tas dense, elle prolifère et masse. Difficile à dire. Toujours là. Pas de terre pas d’air, pas de terre pas de flaque, pas de terre pas de mer, pas de terre pas de lumière, pas de terre pas de feu, pas de terre pas de sens. Le mot terre glisse entre les dents. Il sent la terre.
ST3
Argile. La terre danse avec l’eau pour former des formes entre tes mains, se transforme et te transforme, de la boulette au bol, du boudin à la flute. Vase. Le lit de limon doux engloutit tes orteils qui se contractent, la terre s’infiltre sous les ongles, colonise les plis, les cavités, recouvre les veines, file avec le courant. Pâte. Poudres vertes, rouges, jaunes, mêlées à l’eau fraiche, tu baves, papilles en transe, tu voudrais lécher la couleur, alors tu l’étales avant l’Histoire sur tes paumes et sur les parois des grottes, tu l’étales sur la peau de ton visage, de ton torse, de ton tambour, de ton cheval, tu l’étales sur l’écorce des arbres, tu l’étales sur les rochers — la terre durcit, se compacte, s’encroûte, s’écaille, craquèle, s’effrite, se dépose sur tes cils. Poussière. Terre sèche des chemins piétinés soulève le vent qui la soulève, soulève la paille, tourbillonne, se colle dans les fissures, dans les yeux, dans les bouches.