#boost #01 | Tarkos, quatre strates de la terre

st 1 La terre de mes ancêtres
La terre verte reflète l’arbre. La terre grise les nuages. La terre bleue des bouts de ciel. Elle est comme ça la terre de mes ancêtres : verte, grise ou bleue, avec des pépites de roche ocre, rouge ou noire incrustées dans sa matière. C’est une terre dense qui se souvient de tout. Elle garde la mémoire des volcans éteints. C’est une terre réfractaire. Elle n’a peur de rien, surtout pas du fracas de la pluie. C’est une terre imperméable, l’eau ne peut pas y pénétrer tant elle est compacte. L’homme en tapisse des fontaines. Difficile de s’y enraciner. Parfois quelques chicorées, ficaires, coussoudes ou tussilages s’accrochent à sa surface étalant leurs racines en étoile. La terre de mes ancêtres ne laisse rien passer. Elle fait le lit des eaux qui ruissellent. Elle décide du chemin des ruisseaux. L’été il lui arrive de sécher. La terre de mes ancêtres devient croûte ridée. Sa peau parchemin traversée de failles se déchire et craquelle et le peu de vivant qu’elle portait meurt. Elle est comme ça la terre de mes ancêtres, impitoyable. Seule la coussoude médicinale en profite pour plonger ses racines à travers les fissures pour ramener à la surface du cuivre, du fer, du manganèse, du zinc, de l’azote, du phosphore et de la potasse. Des trésors. Si seulement elle voulait elle pourrait être riche la terre de mes ancêtres. Au fond de la marmite des glaises aurifères gluantes il y aurait de l’or.

st 2 Creuser
Briser en surface la croûte de battance. Creuser les strates superposées, la strate marne bleue, la strate sol ferreux. Creuser l’argile, les doigts perdus dans la matière grasse, laisser empreinte. Creuser la densité poisseuse. Creuser la structure en lamelles, la briser. Creuser l’aggloméré à consistance pâteuse. Faire trou. Rencontrer la glaise froide comme la peau d’un homme mort. La rencontrer, s’enfoncer en-dessous. Laisser derrière les gris, les bleus, les verts. Plonger vers le noir. S’écorcher aux rouges, ocres, rouilles. Creuser encore au risque de s’engluer. Creuser le poids du sol, son passé d’agglomérés, de minerais, sa masse sédimentaire impure. La terre lourde s’accroche, adhère. Elle se cramponne aux doigts qu’elle aspire. Creuser le conglomérat visqueux, la totalité resserrée et stérile. Creuser pour ne rien trouver, rien.

st 3 L’oiseau
Au printemps trouver la veine. Nos mains d’enfants découpent au couteau le talus. Dans cette immense gâteau chacun prend sa part et le talus troué comme un gruyère s’effondre. Les morceaux pèguent dans les mains. Le jeu consiste à poser une plaque de terre fraîche dans la paume ouverte, de retourner la main d’un coup, la terre colle à la chair.  Elle est « amoureuse » dit l’oncle, parfaite pour être travaillée. Nous la trempons dans le bassin du trop-plein de la source, la reposons à plat sur l’herbe pour qu’elle s’égoutte. De nos doigts-pinceaux nous effleurons le mouillé de la terre et dessinons sur nos corps les lettres que nous connaissons :  le A de Ascenseur jusqu’au Z de Zorro. Puis nous plongeons nos mains dans la glaise humide avant de déposer nos paumes doigts écartés sur le mur du jardin.  Les empreintes s’alignent, se superposent, se mélangent. Plus tard chacun de nous malaxe la terre en la jetant violemment sur la terrasse bétonnée pour en enlever les bulles d’air. Il suffit ensuite de l’étaler comme une pâte, d’y découper des ronds qui séchés au soleil deviendront assiettes à dinette. Avec les restes de terre, faire une grosse boule et la porter encore humide chez l’oncle. Le regarder, émerveillés révéler l’oiseau caché dedans.

A propos de Françoise Guillaumond

Ecrivain, directrice artistique de la compagnie La baleine-cargo sur Wikipedia, ou directement sur la baleine cargo.

8 commentaires à propos de “#boost #01 | Tarkos, quatre strates de la terre”

    • J’ai transpiré pour trouver des mots qui conviennent et appris plein de choses sur la glaise, l’argile que j’ignorais. C’est aussi ça je trouve le bonheur d’écrire quand il s’agit de chercher des informations sur ce qu’on côtoie mais qu’on ne saurait nommer.
      En tous cas merci pour tes mots parce que j’avoue, j’ai longtemps calé suite à la proposition.

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