#BOOST #00 | 44º37’43″N 5º03’8″E – Un lointain étrange


Il n’y a pas trente-six chemins pour voire trente-six chandelles. Il y a ce sentier qui part de la bâtisse principale, presque en face de la résidence. C’est déjà d’abord quitter la route principale qui mène au village, bifurquer à gauche on fait dos aux montagnes et on suit la direction de la résidence qui est indiquée sur un panneau peint. De part et d’autre, quelques fermes éparses, serres et granges, peu nombreuses, isolées entre elles par des champs de lavande d’un côté, terres en friches de l’autre. Après le ruisseau, à droite, on contourne par le bas et on laisse la voiture. Ici on doit continuer à pied par le sentier qui monte et longe la rivière en contrebas. On n’accède pas à la rivière, des fils électrifiés délimitent les possibilités. On doit suivre le sentier, son léger dénivelé, ses talus bordés d’arbres, entre son du vent dans les feuillages et cris d’oiseaux. Entendre un rapace et au loin, des pintades d’élevage chantent, un animal meugle, un fusil détonne, des chiens aboient. Ici, passent les vaches en été. En hiver ne passe presque personne. On entend toujours le bruissement de la rivière qu’on surplombe. A un moment, on ne la voit plus, le sentier s’est écarté et se poursuit en bordure d’une haie ouverte baignée de lumière. Il faut poursuivre jusqu’à une petite porte en bas, qu’un loquet ouvre, qu’il faudra refermer derrière soi. Là, deux pistes s’offrent l’une est un bout du monde qu’on arpente en grimpant puis s’éparpille en haut dans des clairières buissonnantes, une garrigue sèche, piquée d’arbres tremblant sous le ciel, d’ornières en redescente. En haut, un cadavre de camionnette, peinture écaillée, signature élimée « un vrai poulet », incongru dans ce paysage où rien d’autre, rien d’apparence humaine, que la camionnette plantée là, dont rien ne poussera. Mais si l’on prend à droite de la porte en bois, on longe une autre propriété vers où la rivière revient. Vaste étendue d’herbes sauvages, troncs d’arbres tombés, creux, gris et difformes sur la droite. Le sentier se fait ici étroit, minuscule, juste la place pour une personne. On y cheminerait à la queue-leu-leu. Ici, s’escarpe la colline sur le flanc gauche, plus pentue, drue, elle s’accidente. On suit un moment avant que cela ne se resserre. Le sentier se fraie, horizontal, à travers une forêt touffue. On pénètre alors dans une atmosphère dense, étrange, habitée. Ici, plus aucun son, un silence lourd, presque caverneux. Plongé dans l’ombre, on ressent la lumière verte, vivante qui émane d’être moussus, d’arbres chevelus, immobiles mais animés. Sensation d’un lieu très ancien, de vibrations lointaines, de pulsations, d’une énergie rare qui resurgit ici dans cet espace reculé. C’est un éloignement à la fois géographique et temporel dans ce recoin de forêt. Il n’y a plus de vrai sentier mais un passage sinueux, sur roche friable. Et là, calcaires concassés craquent sous le pas, rendent l’ascension difficile, très glissante par temps humide sur débris de pierres éclatées. Je sais qu’en haut existe une grotte, un refuge pour milliers de chauve-souris mais je ne les ai pas vues. Je reviendrai.

A propos de Perle Vallens

Au cœur d’une Provence d’adoption, Perle Vallens écrit et photographie. Ecrire c’est explorer l’intime et le monde, porter sa voix pour toucher. Publie récits, nouvelles et poésie en revues littéraires et ouvrages collectifs. Lauréate du Prix de la Nouvelle Erotique 2021 (au diable vauvert) et autrice d'un livre de photographie sur l'enfance, Que jeunesse se passe (éd J.Flament), d'un recueil de prose poétique, ceux qui m'aiment (Tarmac), d'un recueil de nouvelles, Faims (Christophe Chomant) et d'un récit poétique et choral, peggy m. aux éditions la place. Touche à tout, pratique encore le caviardage, le cut up (image et/ou son), met en voix (sur soundcloud Perle Vallens ou podcasts poétiques), crée des vidéo-poèmes et montages photo-vidéo (chaîne youtube Perle Vallens)...

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