# BOOST #002 – PORTES.

Toute première porte entrouverte sur l’enfant, laissée seule au berceau de la nuit, rai de lumière sur l’enfant qui pleure, gigote, tombe, jambe cassée. Première porte entrebâillée sur l’enfant qui crie, gémit, portez, portez, supportez-moi s’il vous plait. Porte poussée et violement refermée par l’adolescente frappée, cravachée, à terre contre le sol, contre le bois de la porte verrouillée et de l’autre côté, coups cognés contre la porte pour défoncer, les oreilles bouchées par des mains tremblantes, attendre, ne pas bouger, porte-rempart, ne pas ouvrir, ne pas souffrir. Et se lever, ouvrir silencieusement la porte-fenêtre au milieu des chuchotements et des rires étouffés de la voiture garée dans la rue. L’adolescente jette son sac, se laisse tomber, attrape ses affaires et file dans la caisse qui s’en va danser dans l’obscurité. Assise sur une chaise, entre deux portes fermées, elle écoute la sentence, virée, bannie, exclue de l’éducation Nationale, prenez la porte, sortez par elle et fermez-la, on ne veut plus de vous. On ne veut plus de toi, porte claquée par la jeune fille, délaissée de l’éducation parentale, qui s’en va travailler et louer sa propre porte à elle. Deux portes ouvertes, intérieur nuit, donnant sur des planches de théâtre éclairée par des projecteurs, la voix de la comédienne déclame les textes, âme torturée qui dit les mots pour se faire entendre, et, intérieur jour, attrape les assiettes, pose les verres, lave la plonge et rêve d’une destinée grandiose, nuits et jours, jours et nuits, sans relâche. Franchie la porte gardée par des hommes musclés, elle danse sur la piste éclairée pour se retrouver nez à nez avec le soleil tout frais. Porte fermée, porte fermée, porte ouverte, porte fermée, porte fermée, porte ouverte, fermée, ouverte, entrouverte mais refermée, la jeune femme fatigue à force d’espérer. Son corps peine jusqu’à la poignée, comment continuer à pousser ? Essoufflée, elle arrive devant la fine porte du sixième étage, frappe, la porte s’ouvre. Lumière chaude, table mise, lune dans le ciel, un corps l’accueille, timidement, elle entre. Si tu passes la porte, ce n’est pas la peine de revenir, de rage, elle cogne contre celle qu’elle s’apprêtait à ouvrir. Partir, pas partir, partir, pas revenir, non, pas partir, pas partir, tiraillée entre sa main sur le loquet et le pied collé contre le seuil, elle hésite, pour la première fois, elle hésite. Et restera. Porte fermée sur cocon douillet, construction, déconstruction, pleurer, parler, crier, se déchirer, s’aimer. Convoquer les cœurs, la chaleur, les bébés, la renaissance. Renaître, grandir et tâcher de tenir éternellement, la porte ouverte.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

12 commentaires à propos de “# BOOST #002 – PORTES.”

  1. j’attendais ton texte
    sur le souffle et à la bagarre
    et on sent ta révolte (je la reconnais aussi comme mienne), une sacrée occasion offerte par ce thème des portes pour la dire comme expulsée d’un corps rejeté
    la présence de la danse et de la scène de théâtre paraît comme une douceur

  2. Superbe ! C’est un texte à dire à voix haute je trouve, avec un jeu sur les sonorités très réussi. Une vie avec et contre les portes, cette question d’entrer, d’être chassée, de partir…
    Et la chute : « Convoquer les cœurs, la chaleur, les bébés, la renaissance » jusqu’à la porte ouverte qui clôt le texte. Merci.

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