Toute première porte entrouverte sur l’enfant, laissée seule au berceau de la nuit, rai de lumière sur l’enfant qui pleure, gigote, tombe, jambe cassée. Première porte entrebâillée sur l’enfant qui crie, gémit, portez, portez, supportez-moi s’il vous plait. Porte poussée et violement refermée par l’adolescente frappée, cravachée, à terre contre le sol, contre le bois de la porte verrouillée et de l’autre côté, coups cognés contre la porte pour défoncer, les oreilles bouchées par des mains tremblantes, attendre, ne pas bouger, porte-rempart, ne pas ouvrir, ne pas souffrir. Et se lever, ouvrir silencieusement la porte-fenêtre au milieu des chuchotements et des rires étouffés de la voiture garée dans la rue. L’adolescente jette son sac, se laisse tomber, attrape ses affaires et file dans la caisse qui s’en va danser dans l’obscurité. Assise sur une chaise, entre deux portes fermées, elle écoute la sentence, virée, bannie, exclue de l’éducation Nationale, prenez la porte, sortez par elle et fermez-la, on ne veut plus de vous. On ne veut plus de toi, porte claquée par la jeune fille, délaissée de l’éducation parentale, qui s’en va travailler et louer sa propre porte à elle. Deux portes ouvertes, intérieur nuit, donnant sur des planches de théâtre éclairée par des projecteurs, la voix de la comédienne déclame les textes, âme torturée qui dit les mots pour se faire entendre, et, intérieur jour, attrape les assiettes, pose les verres, lave la plonge et rêve d’une destinée grandiose, nuits et jours, jours et nuits, sans relâche. Franchie la porte gardée par des hommes musclés, elle danse sur la piste éclairée pour se retrouver nez à nez avec le soleil tout frais. Porte fermée, porte fermée, porte ouverte, porte fermée, porte fermée, porte ouverte, fermée, ouverte, entrouverte mais refermée, la jeune femme fatigue à force d’espérer. Son corps peine jusqu’à la poignée, comment continuer à pousser ? Essoufflée, elle arrive devant la fine porte du sixième étage, frappe, la porte s’ouvre. Lumière chaude, table mise, lune dans le ciel, un corps l’accueille, timidement, elle entre. Si tu passes la porte, ce n’est pas la peine de revenir, de rage, elle cogne contre celle qu’elle s’apprêtait à ouvrir. Partir, pas partir, partir, pas revenir, non, pas partir, pas partir, tiraillée entre sa main sur le loquet et le pied collé contre le seuil, elle hésite, pour la première fois, elle hésite. Et restera. Porte fermée sur cocon douillet, construction, déconstruction, pleurer, parler, crier, se déchirer, s’aimer. Convoquer les cœurs, la chaleur, les bébés, la renaissance. Renaître, grandir et tâcher de tenir éternellement, la porte ouverte.
12 commentaires à propos de “# BOOST #002 – PORTES.”
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j’attendais ton texte
sur le souffle et à la bagarre
et on sent ta révolte (je la reconnais aussi comme mienne), une sacrée occasion offerte par ce thème des portes pour la dire comme expulsée d’un corps rejeté
la présence de la danse et de la scène de théâtre paraît comme une douceur
Une révolte qui je me dis m’a peut être aidé à pousser les portes , même si aujourd’hui, je préfère la douceur qui devient une force.
Quand les portes excluent (souvent..) Terrible.
Merci Catherine, c’est en te lisant que je le vois.
Superbe ! C’est un texte à dire à voix haute je trouve, avec un jeu sur les sonorités très réussi. Une vie avec et contre les portes, cette question d’entrer, d’être chassée, de partir…
Et la chute : « Convoquer les cœurs, la chaleur, les bébés, la renaissance » jusqu’à la porte ouverte qui clôt le texte. Merci.
Toutes ces portes sont une véritable histoire de vie ( passionnante, haletante) Merci Clarence
« qui s’en va travailler et louer sa propre porte à elle »
Merci ma Cécile, je t’embrasse tendresse.
Merci Françoise pour ta lecture et moi aussi j’aime ce qui est venu avec la convocation des coeurs… A bientôt.
je pensais qu’il en fallait du courage, il en faut, pour écrire tel texte. beau trajet, que je lis et relis. des portes claquée pour sa survie à celle que l’on accepte de ne plus claquer pour trouver la vie.
Voilà bien longtemps que l’on ne s’était pas écrites Véronique, plaisir de te relire et merci pour tes mots, à bientôt dans les tiens.
Beaucoup aimé cette valse de portes qui s’ouvrent et se ferment dans la violence des instants. Beaucoup d’images, comme un film qui nous agresse. Merci Clarence.
Cher Jean Luc, au plaisir de nous lire même dans la violence parfois, bonne nuit.