#boost #00 I Bailly, rue du bout du monde

Latitude. 63.868348. Longitude. -22.675337
Entre deux massifs de roches, un creux tapissé de sable noir. Deux bouts du monde se font face. Deux d’un coup ! Entre les deux ce quelque chose qui ne se nomme pas, un non-monde en forme de lit de rivière sans eau où pas un ciel ne se reflète. Bien sûr le bleu existe quelque part mais on ne le voit pas. Il s’est ramassé à l’horizon au pied des montagnes enneigées ou perdu dans les vapeurs de brume qui circulent de bas en haut, de haut en bas. Marcher dans ce creux étroit c’est accepter de se tenir entre deux bouts du monde. Les pieds s’enfoncent, les traces de pas se superposent à d’autres plus anciennes. Parfois tout se resserre et l’on pourrait imaginer poser un pied sur un bout du monde et l’autre sur l’autre, mais non. 
Pour regagner l’un ou l’autre monde, il suffit d’escalader les rocher dressés comme des orgues ou superposés en mille feuilles. Mais que ce soit ce monde ci ou ce monde-là, ils ne diffèrent en rien l’un de l’autre. C’est la même désolation : champs de roches accidentées battues par les vents où s’accrochent quelques lichens. On raconte qu’autrefois ces deux mondes ne faisaient qu’un. A présent,de part et d’autre de la faille, les bouts du monde se regardent. Ils s’éloignent l’un de l’autre de quelques centimètres par an. Un pont étroit les relie mais dans quelques années qui rallongera le pont ? La certitude c’est qu’à défaut de crapahuter dans le no man’s land de sable noir on peut encore passer d’un monde à l’autre grâce au pont. Et soudain ce n’est pas la hauteur qui donne le vertige mais le panneau fixé sur l’armature métallique du pont qui précise : Brú milli heimsálfa, Bridge between continents. Aussitôt, derrière les paupières, deux vastes territoires se déploient de part et d’autre du pont tandis qu’une guirlande de cadenas accrochés à la rambarde se balance au-dessus du vide. Faites vos vœux.

A propos de Françoise Guillaumond

Ecrivain, directrice artistique de la compagnie La baleine-cargo sur Wikipedia, ou directement sur la baleine cargo.

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