#boost #00 | Bailly, rue du Bout du Monde

43.833328 Y: 5.7 ; DMS X: 43° 49′ 59.98″ Y: 5° 42′ 0″ ; UTM (en mètres) Zone 31T X: 717079 Y

En ce bout du monde, des chiffres et des lettres gravés sur une rose des vents, inscrits comme une équation incertaine qui scande la rondeur de la terre, à l’est le village et ses toits de tuiles rondes, à l’ouest la rotonde du château en béton battu, massif et silencieux, témoin d’un autre temps. Là, une ruelle étroite qui serpente, elle débouche estuaire encombré de restes épars, une poubelle ouverte sur un quotidien qu’on jette ; deux anciennes bâtisses de quartier se dressent, désœuvrées, empesées dans le souffle de l’oubli. Elle mène à l’arrière d’une maison qui garde son mystère, un silence de pierre, un mur dont la porte de bois semble peser de toute l’histoire qu’elle retient. Par-delà, rien, pas un bruit, pas une rumeur, seulement le poids dense de l’impasse. Un retour à la rotonde s’impose, un pas puis un autre, en contournant la colline du Castella.
Le chemin est rugueux sous les semelles il se fait fil tendu entre les buissons d’épineux, les bouquets de thym et de laurier qui s’accrochent aux lèvres du sol, les roses trémières insolentes jaillissent sans logique du goudron, éclats de vie incongrus et tenaces. Là, un pigeonnier défraîchi, une maison de Parisiens en vacances, traces éphémères de passages saisonniers. Puis, la montée vers le Castella, les pas qui se font lourds, le souffle court, l’effort qui ouvre enfin l’horizon, déroule un panorama sur la vallée de la Durance, la rivière qui défile, serpente entre les replis d’une géographie ancienne insaisissable.
Face au Castella, le Moulin de Montfuron, silhouette d’un autre siècle, posé sur la crête comme un guetteur immobile. Ses ailes arrachées par le vent, il veille. Il porte en lui des histoires, des secrets enfouis. Ici, on raconte qu’il a été témoin de tout, des disparitions, des départs sans retour. Un personnage de polar à ciel ouvert, figé dans le vent, complice muet du mistral qui hurle et emporte les traces.

Devant des jardins s’étirent en strates odorantes, des pins s’élancent, des lavandes ondulent, des bignones éclatantes. Plus loin, des champs de blé, des collines, et puis, là-bas, ITER, monolithe de science, la centrale de recherche sur la fusion, l’imitation fragile du cœur du soleil, promesse d’une énergie durable et pure, libérée des poisons invisibles.
La Durance se glisse, esquisse des courbes trace sa propre histoire dans la terre et la roche avant de se fondre, fil conducteur qui rejoint d’autres horizons, des bouts de monde encore à parcourir. Là-bas la Sainte-Victoire de Cézanne, surveillée par les aigles, effleurée par les fauvettes, frôlée par les bruants qui tracent d’autres routes.
Le mistral souffle ici avec une force indomptable, un vent sauvage qui balaie les collines, déracine les certitudes et courbe les cyprès comme de frêles roseaux. Il s’engouffre dans les ruelles, siffle entre les bâtisses, emporte avec lui des brassées d’aiguilles de pin et de poussière dorée. Il creuse le ciel, le lave de tout nuage, offrant aux jours le bleu absolu éclatant et souverain tranchant de l’azur, il résonne comme une note suspendue. Sous cette lumière crue qui embrase la pierre et les feuillages d’une clarté mordorée chaque contour se découpe avec une précision implacable, chaque ombre tranche net, projetant sur les façades un jeu de contrastes fulgurant, une précision irréelle. Le mistral, une présence, un battement, une cadence imprévisible qui sculpte le paysage et marque les visages. Il gifle, caresse, gronde, se tait, puis revient, impitoyable et joueur, gardien invisible de cette terre battue de soleil et rythmée par le chant obsédant des cigales.
À la tombée du jour, le ciel provençal se pare d’un bleu profond, une voûte immense où les premières étoiles éclatent dans une lumière fragile. Puis viennent les filantes, traits fugaces qui zèbrent l’obscurité, esquissant des promesses secrètes. La nuit se tend en silence, constellée de points incandescents, témoins immémoriaux des voyages cosmiques cherchant, en attente d’autres bouts de monde.

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