#BOOST #00 | 48°53’16.4″N 2°20’08.7″E

Ce n’est pas le bout du monde. C’est un monde à part, en retrait. Un lieu secret découvert par hasard. Rien ne trahissait l’existence de ce passage clandestin, ce raccourci fermé par une lourde porte munie d’un digicode. C’est un bout de monde à l’intérieur d’un autre, un hameau enchâssé au cœur de la ville. Il permet de traverser d’un quartier à un autre. Il y a une porte qu’on ne peut franchir que si on a le code. Un sésame précieux. Cette nuit-là, la dernière personne entrée a mal refermé derrière elle la porte métallique et celle-ci est restée entrouverte. La curiosité l’emporte. On ose franchir le seuil. On ne sait pas encore ce qui nous attend. On glisse dans un autre monde.
Ce hameau est un lieu paisible et préservé qui abrite d’anciens ateliers d’artistes, dotés de grandes verrières, des villas cossues de style Art déco, distribuées autour d’un petit jardin encombré de joncs et d’arbustes. On ne peut pas rester longtemps, étranger en ce lieu, on est juste de passage. On doit rester discret pour ne pas attirer l’attention. Dans la pénombre, il faut longer lentement les murs des bâtisses en veillant à ne pas faire de bruits, ni risquer de tomber. L’obscurité ralentit l’avancée. L’unique lampadaire, esseulé dans un recoin du jardin, n’est pas très vaillant, sa lumière vacillante. À travers la trame dense des joncs qui oscillent légèrement au vent, frémissants et sonores, une silhouette évasive. Le cœur bat plus fort, prêt à rebrousser chemin. Au bout de l’allée pavée, qui serpente à travers les hautes bâtisses, l’accès est protégé par des palissades. Au milieu des arbustes, une statue de femme nue en bronze au centre du jardin. Quelques mètres plus loin un escalier très escarpé dégringole jusqu’en bas de la rue. De ce côté, pas de code à la porte pour sortir.
En traversant cette voie privée au calme inhabituel, plongée dans l’obscurité, l’impression de franchir un seuil, d’entrer dans une nouvelle dimension. Une fois parvenu de l’autre côté, nous voilà changé, projeté ailleurs. Comme au cinéma les personnages passent d’un plan à un autre, d’une ville à une autre en un raccord fulgurant. Comme sur Street View, quand la Google Car n’est pas passée dans un endroit, on est propulsé de l’autre côté de la rue, du passage, en souterrain, et parfois même dans un autre quartier de la ville. On change de temps comme d’espace. La ville, la nuit, s’épaissit d’un mystère tout autre. On croyait la connaître, elle nous échappe encore. Elle se métamorphose. Elle s’épaissit soudain d’un mystère insaisissable.

Codicille : Le bout du monde, c’est un monde un part. Un cheminement intérieur. C’est une île dans la ville. Un lieu de transition. Un raccourci secret.

A propos de Philippe Diaz

Philippe Diaz aka Pierre Ménard : Écrivain (Le Quartanier, Publie.net, Actes Sud Junior, La Marelle, Contre Mur...), bibliothécaire à Paris, médiation numérique et atelier d'écriture Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d'écriture, édité par Publie.net http://bit.ly/écrireauquotidien Son dernier livre : L'esprit d'escalier, publié par La Marelle éditions Son site : Liminaire

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