Sous un gros pont arrondi, entre les piliers, les poubelles éventrées, les barrières, les arbustes, on longe un cœur rouge sang, fresque à la louange des Crottes — quartier que l’on quitte pour accéder à celui du Canet. Un escalier se cache là. Il sent l’urine, on ne sait pas où il mène, on monte. Et soudain, un paquet de ciel. Brutal, insolent. Une passerelle, tout aussi inattendue, file loin devant. Le premier pas réveille sa matrice, le deuxième hésite, le sol est spongieux, elle frissonne, tangue, couine, à la longue elle berce, on tient, suspendu au-dessus d’une ancienne gare de triage. L’œil est perdu, peine à s’accrocher entre le large du ciel et ce bras de terre désolé, longe les lignes, les fils électriques, les rails, les poteaux d’acier, les moitiés d’arbres. Un homme s’est engagé sur la passerelle, en face, minuscule bonnet rose. Tout est lourd, pelé. Le silence alerte. Deux wagons ventres ouverts, un autre, un bloc de béton, une butte d’argile, un hangar, rien dedans. Le nez se lève vers les tours à l’horizon, les barres d’immeubles arrosées de soleil, les cheminées de trois bâtisses alignées, façades en ruines, toits troués. Qu’est-ce qu’il y a là-dedans? Des engins stockés, des bouts de choses, des pièces mécaniques hors d’usage sous des bâches crasseuses. Le bonnet rose chante dans son téléphone, impose son rythme au tangage, se tait, passe, chante à nouveau en s’éloignant. Sa présence rassurait. La passerelle n’en finit pas. On s’arrête. Tout s’arrête, et l’œil retombe dans le vide. Une carcasse rouillée, un tas de tôle, un container, un écheveau de câbles, un ensemble de masses épaisses sous la poussière. On repart plus vite, on veut sortir de ce bout du monde en apnée. La passerelle s’achève, les escaliers débouchent sur un vrac de voitures, un embrouillamini de tags où des montgolfières côtoient Marco Polo, Pikachu, une licorne, un arc en ciel, une fusée, un jaguar solitaire.
2 commentaires à propos de “#BOOST #00 | 43°32’51’’39 N, 5°37’11’’24 W”
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On retient son souffle. On sent , on voit . J’aurais bien pris des photographies ici. Merci
j’aime ce passage du bout du monde : sa suspension (sa « matrice »!). Comme quoi le bout du monde peut se trouver en plein milieu de tout