#BOOST #02 | Portes d’à côté

#00 | 36°51’31.8″N 10°19’49.9″E
#01 | Terre de passage
#02 | Portes d’à côté

#02 | Portes d’à côté

Double consigne simple : on garde la forme bloc on garde la seule ponctuation les points dans ce texte · porte franchir entrer porte franchir entrer d'un point à un autre point quelle image une fois qu'on a tenu l'image qu'elle tremble le point la fixe elle ne tremble plus mais on est passé à une autre image on a franchi on est entré et une autre porte on entre un autre intérieur — c’est dans la vidéo de f.

Et pour commencer, j’ai envie de donner un peu d’élan au texte, même si un peu ralenti, de poser des fondations, un vrai bloc, avec un escalier, une volée de marches pour accéder à la première porte. Et pour le point, un point médian, ça fonctionne aussi ? non ? c’est pas un vrai point d’arrêt, plutôt un point d’articulation ? on veut quoi, une pause ou un relais ? on recommence la course ou on passe le témoin ? J’aime bien l’idée du témoin.
Allez, après les portes d’entrée de deux maisons et quatre portes de la première maison — en fait, un mélange de portes et d’intérieurs de l’autre — les quatre autres — plus vite fait (j’espère), comme Patrick Blanchon.

(On ne dit pas porte de sortie, mais les sorties de secours sont bien des portes.)

À la fin (demain), on rassemble et redistribue les phrases.

Un vieil escalier en pierre en une volée de dix marches ou onze marches un peu usées au centre creuses comme des lignes relâchées et au sommet une porte marron en bois peint délavé écaillé le panneau d’appui griffé la traverse au pied rongée et une imposte en verre avec une structure de rouille noire dessinant un losange recouvert par une toile d’araignée et quand on entre la poignée béquille droite grise et mate trop haute claque le chien passe le premier pousse la porte qui claque contre l’évier en pierre derrière dans l’entrée bleu ciel aux murs épais et ses quatre portes à gauche à droite et deux en face dans une paroi en bois brut gris fendu deux portes à loquets un lino à carreaux effacés au sol une ampoule simple trop faible au plafond au fil tordu l’interrupteur noir derrière la porte. La porte de métal d’un bleu pâle piqué de rouille large lourde et bloquée qu’on cogne et qui couine la vitre en plexiglass voilée pleine de rayures tremblant et même derrière les géraniums. La petite porte vert anis au jeu de fléchette et plein de petits trous autour le bouton de porte doré branlant attention à la marche baisse la tête la pendule te toise du plafond de son œil à aiguilles ciselées d’un inéluctable balancier. Une porte basse un baromètre à aiguille la vitre fissurée un gros linteau ça passe juste la chambre sentait la cire d’abeille on glissait sur des patins. La porte ouverte en grand découpait la petite table en formica blanc écaillé aux pieds chromés et deux chaises bancales assorties sous la lumière d’un néon dont on n’entendait que le ronronnement ou c’était le frigo sur fond de rideau blanc d’arabesques bleues et la petite tortue qui finira par se glisser dessous. La grande porte à quatre panneaux et sa poignée béquille lâche qui sautait sous les coups de boutoir des enceintes dans la grande chambre illuminée par les petits néons et les spots multicolores découpée par les flashs du stroboscope. La petite porte de vieux bois gris toute fissurée comme ridée avec ce loquet bloqué et quand ça s’ouvre la porte sursaute et peut-être l’escalier du grenier derrière les marches du même vieux bois grinçant et instable sauf pour le chat resté enfermé qui décampe. La trappe en bois dont la poignée et le petit loquet en métal sonnaient à chaque pas la trappe en bois qu’on raclait sur le ciment la trappe en bois qui faisait tomber un peu de poussière sur la tête la trappe en bois qui était restée bloquée et la pile qui faiblissait la trappe en bois de la cave les noms d’oiseaux qui fusaient la nuit se glissant par les deux petits soupiraux. La porte d’à côté symétrique pour une cage d’escalier de pierres apparentes de parpaings bruts de planchettes en équilibre instable et de grosses toiles d’araignées dessous mais qu’est-ce que tu fais dessous sans autre lumière que celle qui monte du chai. La porte marron vernie et granuleuse contenait un long couloir vide murs placo plafond panneaux de polystyrène et sol ciment. Une vieille porte bancale encore aujourd’hui pour on ne sait quelle pièce en forme de couloir sans issue encombré de mille et une petites choses dépareillées sur un mur briquettes rouges.

(Il y a eu aussi ces trois autres portes, de la structure où je travaille. C’était une fin d’après-midi d’hiver, la nuit tombait, quoi qu’en montrent les photos. Du temps, aussi, où les arbres étaient encore sur pied.)

#01 | Terre de passage

Allez, ce soir on s’y remet, on essaye, les quatre petits textes pour la terre, quatre fragments de terre en mouvement, au pluriel, en matière, de terre et de langue, en soi-même, pour moi, et en un mot défini en une phrase ou deux.

ST1

Ici la terre point, la terre se soulève, elle se dresse, d’un trait compact, elle s’élève et se tord, retombe et s’enroule, la terre sort de la terre compacte, lisse, long boyau fuyant de terre tordue, entrelacée, s’élevant et s’enroulant, retombant entortillée, en petit tas de terre agglutiné, de petits tours de terre en turricule.

Ici la terre gicle. La terre friable, de tas en tas, de petits jets. Ou juste accumulée par petites touches. Et le tas qui grossit, qui monte par morceaux, par fragments, par grains de terre éjectés. Et la terre qui glisse, la motte qui roule. Le trou qui s’ouvre. La tête noire et aveugle.

Ici la terre court. Entre les hautes herbes, la terre se fraye un chemin, file d’une ligne sinueuse. Elle surgit dans une zone nue, foulée, piétinée. Et court de plus belle, fuit dans le désordre des traces, des pinces, peut-être des gardes à peine visibles. Elle court la terre, entre les herbes luisantes, elle allonge la coulée.

Ce que je voudrais, c’est la terre sous l’espèce de l’animal. En lisant Tarkos, j’ai d’abord pensé au sanglier qui fourrajhe avec son groin. Et puis les turricules des vers de terre, le monticule de terre d’une taupe, la coulée et les traces d’un chevreuil. Pour la terre labourée, la matière ?

ST2

Quand la terre se retourne sous la mâche de fer, houe, bêche, soc. La terre s’enroule, s’égrène, s’agrège. La terre fendue, ouverte. Les cailloux à nu, des pierres en éclats, griffées, raclées, morsures rouille. La terre fraîche découverte, noire persillée de blancs, de jaunes, de verts, recouverts de motte sèche. La terre à l’air, d’insectes renversés, de vers fuyants, de lignes instables.

ST3

                                                           et la fois où tu as mordu la poussière, tu te souviens, la première fois, par terre, une terre sèche, une terre dure, mélange de gravier et de sable, une terre de rouge et de gris, fine, poudreuse à force d’avoir été battue sous les pas, cette terre de passage, tu te souviens que tu te roulais avec l’autre, tu te débattais dans cette terre faite poussière, avant-goût au sens littéral, concret, matériel, substantifique peut-être, de l’expression toute faite, la tête dedans, la terre, la poussière, partout sur toi, partout sur l’autre, jusque dans la tête, jusque sur le visage et dans la bouche, cette terre rouge de pinède, le goût que ça avait, quel goût ça pouvait avoir cette poudre rouille, ces grains craquant sur la langue, un goût de fer, un goût de nerf, à l’un comme à l’autre, un goût de noms de dieux et autant de crachats

ST4

Rajher consiste à labourer une première fois en rejetant les mottes dans les sillons. — Fourrajher serait ce dérivé désignant la façon de fouir de certains animaux, en creusant et en rebouchant, pour former une litière de terre.

(http://willweb.unblog.fr/search/turricule — C’était déjà en puissance là ?)

#00 | 36°51’31.8″N 10°19’49.9″E

J’étais sorti pour trouver un coin où manger, je venais de descendre l’avenue, il y avait du monde, c’est juste si ça se bousculait pas, je comprenais rien à la langue d’ici, sauf les prix dans les boutiques, et le concert de klaxons, je suis passé dans l’allée centrale, piétonne et arborée, entre les deux axes routiers saturés de véhicules, et le tram qui filait entre, j’arrivais à la petite place de je sais plus qui, un poète et philosophe d’ici, antique, au pied d’une fontaine, juste en face de l’ambassade. Et c’est là. L’ambassade, le drapeau, mon pays. Personne sur le trottoir. Il y avait du monde, mais on l’évitait, on le contournait, le trottoir. On passait au bord, sur la route. Et bien obligé, avec les barbelés. Des centaines de mètres de fil barbelé, enroulé, étendu. Devant l’ambassade. Devant le drapeau. Devant la guérite et le soldat armé. Et la Jeep plus haut. Et des blindés plus bas. Que même si je voulais entrer, même avec mon passeport, pas sûr qu’on m’aurait laissé entrer pour visiter, pour voir comment c’est mon pays, en quelques mètres carrés, vu d’ici, là-bas. Je suis resté là, comme ça, devant cette entrée barbelée au pied de la statue. Et je suis rentré à l’hôtel avec ce que je venais de voir, de vivre, ici à l’étranger comme au bout du monde, une espèce d’inquiétante identité, intimité peut-être mais retournée comme un gant. C’était rien pourtant. C’était courant. Tout le monde passait sans s’arrêter. La vie continuait. À croire qu’on s’habitue aux barbelés. Mais moi ça me trottait, ça me courait dans la tête cette histoire. Alors je suis sorti. J’allais pas rester dans ma chambre d’hôtel avec ça dans la tête, à ressasser. Je suis ressorti, direction la gare. J’allais pas rester comme ça dans cette ville.

Je me souviens pas du train. Même pas d’un style, moderne ou ancien, ni de l’ambiance dedans. Et encore moins des gens. C’était un petit train. C’était des petits wagons. À la limite c’était comme le tramway. Les gens montaient, descendaient. Les stations étaient rapprochées. À un moment, ça a été plus long. On longeait route, une autoroute précisément, sur une bande de sable. Et derrière, la mer. Tout autour, la mer. Elle n’est pas bleue, mais grise. Par moments, argentée.

Et puis les maisons reviennent. De petites maisons blanches, aux toits terrasses. Des arbres. Un couple semble emprunter le même chemin que moi, que je ne connais pas. Je les suis, sur le trottoir, à quelques mètres. À droite, à gauche, dans les rues désertes. Sauf le bruit d’une voiture, d’un train. On dirait qu’il va pleuvoir.

L’amphithéâtre, c’était en entrant ou en sortant ? Un antique amphithéâtre de blocs de pierres parfois fissurés, éclatés, cimentés, et quelques herbes sauvages dans les interstices. Des éboulis au sommet, mélanges de pierres et de poussière retournée par la bruine. Deux parapluies au premier rang, devant une fosse et un parterre en forme de grille métallique. Et une scène vide. Une structure de tubes et de spots de lumière noirs.

L’entrée pour trois fois rien. Une barrière tourniquet simple, à mi-hauteur, au milieu d’un bosquet. Le gardien s’en retourne.

On se retrouve dans un lieu désert, moitié carrière de terre et de sable fauves, ocres, écrus, abandonnée, moitié ruines de cité disparue. Des statues décapitées, des colonnes couchées, des piliers rongés, murailles et murets brisés, des blocs, des niches, des trous. Des vestiges qu’on aura décaissés, dégagés, nettoyés, remis à l’air libre et fatalement rendus au ciel, au soleil, au vent, plus friables et solubles que jamais sous la pluie fine et les embruns de la mer pas si loin. Et rien d’autre pour me couvrir que l’espèce de tunnel dans lequel étaient stockées des centaines de plaques ornées de figures, de lettres, de signes plus ou moins visibles et lisibles. Le gardien me raconte l’histoire du lieu, en fonction de ce que représentent les plaques, les mosaïques, les arabesques, les svastikas et quelques rares scènes figuratives, grandeurs et misères des civilisations.

Dans les allées, les grandes dalles sont glissantes. Elles sont parfois bordées de palmiers, de cyprès, de pins, d’oliviers. Il y en a une grande qui monte vers un bâtiment neuf qui a l’air d’un bloc de pierre énorme, surmonté d’une coupole et dominé par une flèche gigantesque, au milieu de rien. Une autre, qui la coupe, remonte encore un peu la colline et, au sommet, sous la pluie, c’est la mer par-dessus les toits, les arbres, et une faible percée du soleil.

Avant de rentrer, je suis allé au hasard dans les rues du quartier, vers le sommet d’une autre colline. Je pensais voir à quoi ressemblait l’bâtiment blanc, mais les rues se sont refermées. Sur un socle blanc, la carcasse d’une voiture accidentée, brûlée, rouillée et repeinte.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

8 commentaires à propos de “#BOOST #02 | Portes d’à côté”

    • Merci Hugo. Mais pour le coup, ça tombe un peu à l’eau, et je suis mauvais nageur. Si tu veux, essaie avec ces coordonnées décimales, je devrais retrouver la terre ferme et remonter le temps : 36.858833, 10.330528

  1. Eh ben will content de ce retour – je pensais à ton premier paragraphe à l’avenue de France devenue Bourguiba (avant de se transformer en saïed ?) à Tunis – voilà que Ugo parle de Carthage (où j’ai passé les 7 premières années de ma vie…) comme quoi les hasards… Bonne suite !!

    • Eh oui Piero, du saisissement (qui me surprend encore) de cette ambassade embarbelée (ça ne se dit pas, tant pis), il y a 10 ans (j’étais à Tunis pour quelques jours, peu avant les attentats du Bardo), j’ai fui (disons) à Carthage, au milieu des ruines romaines (entre autres) immémoriales. C’est là que j’ai posé les coordonnées GPS. — Merci Piero. Tu nous raconteras ces 7 premières années ? Tu en as peut-être déjà parlé ?

    • Ah ben grand merci Christophe d’avoir retrouvé le titre que j’avais laissé en route, sans le savoir, dans le texte ! — Si tu permets, je vais te le reprendre pour le mettre à sa place, de titre. C’est quand même mieux que ce « de la terre » qui sent le sujet de thèse mi géologique, mi écologique, mi philosophique, et tant d’autres moitiés.

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