#boost #00 | 36°51’31.8″N 10°19’49.9″E

J’étais sorti pour trouver un coin où manger, je venais de descendre l’avenue, il y avait du monde, c’est juste si ça se bousculait pas, je comprenais rien à la langue d’ici, sauf les prix dans les boutiques, et le concert de klaxons, je suis passé dans l’allée centrale, piétonne et arborée, entre les deux axes routiers saturés de véhicules, et le tram qui filait entre, j’arrivais à la petite place de je sais plus qui, un poète et philosophe d’ici, antique, au pied d’une fontaine, juste en face de l’ambassade. Et c’est là. L’ambassade, le drapeau, mon pays. Personne sur le trottoir. Il y avait du monde, mais on l’évitait, on le contournait, le trottoir. On passait au bord, sur la route. Et bien obligé, avec les barbelés. Des centaines de mètres de fil barbelé, enroulé, étendu. Devant l’ambassade. Devant le drapeau. Devant la guérite et le soldat armé. Et la Jeep plus haut. Et des blindés plus bas. Que même si je voulais entrer, même avec mon passeport, pas sûr qu’on m’aurait laissé entrer pour visiter, pour voir comment c’est mon pays, en quelques mètres carrés, vu d’ici, là-bas. Je suis resté là, comme ça, devant cette entrée barbelée au pied de la statue. Et je suis rentré à l’hôtel avec ce que je venais de voir, de vivre, ici à l’étranger comme au bout du monde, une espèce d’inquiétante identité, intimité peut-être mais retournée comme un gant. C’était rien pourtant. C’était courant. Tout le monde passait sans s’arrêter. La vie continuait. À croire qu’on s’habitue aux barbelés. Mais moi ça me trottait, ça me courait dans la tête cette histoire. Alors je suis sorti. J’allais pas rester dans ma chambre d’hôtel avec ça dans la tête, à ressasser. Je suis ressorti, direction la gare. J’allais pas rester comme ça dans cette ville.

Je me souviens pas du train. Même pas d’un style, moderne ou ancien, ni de l’ambiance dedans. Et encore moins des gens. C’était un petit train. C’était des petits wagons. À la limite c’était comme le tramway. Les gens montaient, descendaient. Les stations étaient rapprochées. À un moment, ça a été plus long. On longeait route, une autoroute précisément, sur une bande de sable. Et derrière, la mer. Tout autour, la mer. Elle n’est pas bleue, mais grise. Par moments, argentée.

Et puis les maisons reviennent. De petites maisons blanches, aux toits terrasses. Des arbres. Un couple semble emprunter le même chemin que moi, que je ne connais pas. Je les suis, sur le trottoir, à quelques mètres. À droite, à gauche, dans les rues désertes. Sauf le bruit d’une voiture, d’un train. On dirait qu’il va pleuvoir.

L’amphithéâtre, c’était en entrant ou en sortant ? Un antique amphithéâtre de blocs de pierres parfois fissurés, éclatés, cimentés, et quelques herbes sauvages dans les interstices. Des éboulis au sommet, mélanges de pierres et de poussière retournée par la bruine. Deux parapluies au premier rang, devant une fosse et un parterre en forme de grille métallique. Et une scène vide. Une structure de tubes et de spots de lumière noirs.

L’entrée pour trois fois rien. Une barrière tourniquet simple, à mi-hauteur, au milieu d’un bosquet. Le gardien s’en retourne.

On se retrouve dans un lieu désert, moitié carrière de terre et de sable fauves, ocres, écrus, abandonnée, moitié ruines de cité disparue. Des statues décapitées, des colonnes couchées, des piliers rongés, murailles et murets brisés, des blocs, des niches, des trous. Des vestiges qu’on aura décaissés, dégagés, nettoyés, remis à l’air libre et fatalement rendus au ciel, au soleil, au vent, plus friables et solubles que jamais sous la pluie fine et les embruns de la mer pas si loin. Et rien d’autre pour me couvrir que l’espèce de tunnel dans lequel étaient stockées des centaines de plaques ornées de figures, de lettres, de signes plus ou moins visibles et lisibles. Le gardien me raconte l’histoire du lieu, en fonction de ce que représentent les plaques, les mosaïques, les arabesques, les svastikas et quelques rares scènes figuratives, grandeurs et misères des civilisations.

Dans les allées, les grandes dalles sont glissantes. Elles sont parfois bordées de palmiers, de cyprès, de pins, d’oliviers. Il y en a une grande qui monte vers un bâtiment neuf qui a l’air d’un bloc de pierre énorme, surmonté d’une coupole et dominé par une flèche gigantesque, au milieu de rien. Une autre, qui la coupe, remonte encore un peu la colline et, au sommet, sous la pluie, c’est la mer par-dessus les toits, les arbres, et une faible percée du soleil.

Avant de rentrer, je suis allé au hasard dans les rues du quartier, vers le sommet d’une autre colline. Je pensais voir à quoi ressemblait l’bâtiment blanc, mais les rues se sont refermées. Sur un socle blanc, la carcasse d’une voiture accidentée, brûlée, rouillée et repeinte.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

5 commentaires à propos de “#boost #00 | 36°51’31.8″N 10°19’49.9″E”

    • Merci Hugo. Mais pour le coup, ça tombe un peu à l’eau, et je suis mauvais nageur. Si tu veux, essaie avec ces coordonnées décimales, je devrais retrouver la terre ferme et remonter le temps : 36.858833, 10.330528

  1. Eh ben will content de ce retour – je pensais à ton premier paragraphe à l’avenue de France devenue Bourguiba (avant de se transformer en saïed ?) à Tunis – voilà que Ugo parle de Carthage (où j’ai passé les 7 premières années de ma vie…) comme quoi les hasards… Bonne suite !!

    • Eh oui Piero, du saisissement (qui me surprend encore) de cette ambassade embarbelée (ça ne se dit pas, tant pis), il y a 10 ans (j’étais à Tunis pour quelques jours, peu avant les attentats du Bardo), j’ai fui (disons) à Carthage, au milieu des ruines romaines (entre autres) immémoriales. C’est là que j’ai posé les coordonnées GPS. — Merci Piero. Tu nous raconteras ces 7 premières années ? Tu en as peut-être déjà parlé ?

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