La nouvelle m’est arrivée en même temps que la dernière photo, celle du passeport. Tout s’est figé. Reste l’écho quand même, celui des façons de dire qui animaient ce visage.
Tel l’air de doute en disant « le bizarre ». Boke s’était forgé l’expression, en-deçà même de notre rencontre. Je ne sais d’où il en tenait l’inspiration. Il l’employait souvent. Dans des occurrences tellement différentes que je n’en ai jamais complètement deviné le sens. D’où peut-être ce sourire mi-gêné mi-amusé dont il en accompagnait chaque retour.
L’air grave des salutations à chaque revoyure aussi. La cigarette restait en bouche. Il fallait aller très vite, les expédier en quelque sorte et pourtant on ne pouvait les escamoter complètement. Il n’était pourtant apparemment pas sensible à ma propre application à répondre, il faut dire qu’elles avaient été sans doute ma première conquête de langue, les salutations. Mais Boke les expédiait avec une voix qui roulait grave, les yeux baissés vers les occupations encore en cours ou bien les premiers préparatifs pour fêter nos retrouvailles.
Lorsque venait le moment de saluer mon travail, façon de désigner tout acte de la vie courante appréciable par autrui, j’avais toujours de quoi me demander quelle était la part de moquerie mais peut-être aussi la part d’attendrissement, comme on s’attendrit devant un enfant qui apprend à parler. J’ai assez rapidement compris que j’accentuais mal la phrase saluant le travail d’autrui. Je crois que tout un village l’a répétée derrière mon dos en riant, ma façon de dire. Boke en avait gardé le lointain écho, dépouillé de toute raillerie, avec la douceur toute particulière d’une voix baissant en volume et montant vers les aigus, accompagnée d’un sourire éclatant, résolument tourné vers moi.
Et puis il y avait le docte Boke, à chaque apprentissage d’un mot nouveau. Chaque phrase était ponctuée d’un « ya loŋ ? » -tu sais ?- en alternance avec un « ya faamu ? » -tu comprends ? Le débit était plus lent, le regard pénétrant jusqu’au moment où je répétais le mot ou la phrase correctement pour lui, succès alors salué d’un « wolemu » -c’est ça. Et l’affaire était close.
Et l’affaire est close.