1.
Pour le cœur, il n’est, paraît-il, pas très conseillé manger trop de réglisse. Je ne sais pas si c’est vrai. En ce qui me concerne, c’est un puissant stimulant psychologique. J’ai l’impression de manger. Mais je triche. Ce ne sont pas des bâtons que je suce, mais des pastilles non sucrées. Sur la boîte, il est effectivement précisé qu’il faut éviter une consommation excessive en cas d’hypertension. L’hypertension ne nous arrivera jamais. C’est pour cela qu’on peut manger autant de réglisse qu’on veut. Et puis de la réglisse naturelle, ça ne se refuse pas, comme une bonne courgette. Sauf qu’un concentré de courgette fait moins envie quand on a un petit creux. Mais si un jour je fais de l’hypertension (ce qui n’arrivera jamais), je passerai au concentré de courgette. J’aime les courgettes, mais est-ce que j’apprécierai autant le concentré de courgette ? Y a-t-il des contre-indications à la consommation excessive de courgette ? Peut-on manger trop de courgettes ? Et si j’optais plutôt pour les bâtons de réglisse, plutôt ? Après tout, la boîte des bâtons de réglisse est toujours rangée à côté de la boîte des pastilles de réglisse.
2.
Les bâtons de réglisse sont répulsifs. Pour moi, je veux. Ils sont une forme de mensonge, quelque chose dont on se vante, mais qui ne vaut pas plus que la vantardise. Le mensonge vient surtout du fait que pour faire passer le goût du mensonge, je ne parle que de ce dont je ne devrais pas parler. Les pastilles démontrent l’hérésie, le subterfuge. Elles contiennent la vérité du balancement entre le manque du caractère du mangeur et l’impulsion de la tachycardie. Le bâton de réglisse est l’effort de celui qui se trompe d’être et l’ambivalence de la nostalgie. Le goût ne rappelle rien de bon en dehors de l’enfance. C’est pourquoi je l’appelle l’humilité alimentaire, le rejet de ce qui ne se mange pas, l’expansion sexuelle de la réglisse. On ne mange pas une pastille de réglisse, on abandonne à la bête sociale que l’on est, le goût pour le désordre moral, le man que de caractère. Un individu qui mange des pastilles de réglisse abandonne son identité aux désespoirs les plus sereins.
3.
Noire. La boîte est noire. C’est du carton. Un carton fin. Gris à l’intérieur, dirait-on. Mais il ne s’agit que d’un souvenir. Je ne m’intéresse jamais aux intérieurs, c’est trop intime. Parfois même dégoûtant. Heureusement, une boîte de pastilles de réglisses ne contient pas d’abats, ce qui satisfait pleinement le presque végane que je suis (il m’arrive encore de céder devant un formage puant ou face à un gâteau contenant de l’œuf). Sur la face principale de la boîte (où l’on peut lire que je ne mens pas (cette fois) et qu’il s’agit bien de pastilles de réglisse) il y a une petite ouverture condamnée (c’est très relatif) par un bout de plastique transparent (comme toute boîte de bonbon en carton qui se respecte, en somme, on se demande pourquoi en faire un foin). Mais ça fait depuis bien longtemps qu’on ne voit plus les pastilles de réglisse à travers cette ouverture. D’une part, parce que la boîte de confiseries n’en contient plus beaucoup, et d’autre part parce qu’elle est trop éloignée de moi pour que je puisse valider ou non cette information, je suis à près de huit cent kilomètres d’elle.
4.
Ça fait plusieurs semaines que je n’ai pas touché à cette boîte. Du moins, j’en ai l’impression. Je soupçonne mon cerveau de me jouer des tours. J’ai à la fois une vision claire de moi en train d’ouvrir la boîte, d’y glisser deux doigts, de prendre une pastille, de la retirer puis de la manger. Par contre, rien sur le goût. Enfin si. Quand j’y pense, j’arrive à le faire revenir en bouche quand bien même je viendrais de me remplir le ventre d’un bol de Weetabix. Mais ça n’a rien d’un souvenir contemporain, il est comme détaché de la situation initiale. Si j’osais (et j’ose), j’appellerais cela la dialectique de la pastille de réglisse. Ou le paradoxe. À moins qu’il ne s’agisse de disjonction. Je crois que ce dernier terme est bien plus juste que les précédents. Le goût et l’acte constituent une association impossible, l’équation qui n’a aucune solution possible ou rationnelle. Il s’agit d’admettre l’impossibilité, sans se fourvoyer dans le surnaturel, faute de réalité suffisamment lucide.
5.
Tu ne feras point acheminer tes pastilles de réglisse par chronopost, à moins de n’avoir rien d’autre à faire. Auquel cas, tu prendras bien soin de commander les éléments un à un, si possible dans un pays lointain, là où les pastilles de réglisses se ramassent à la pelle, mais pas trop quand même. Il faut qu’elles restent rares pour les mériter. Et difficiles à obtenir. Ceux qui se nourrissent de pastilles de réglisses sont des personnes très riches où des personnes très malines, capables de trouver des fournisseurs particulièrement conciliants ou de graisser la patte aux bonnes personnes. Il est indispensable de savoir donner de sa personne. Il m’est arrivé d’y laisser un bras, une jambe, voire une tête ou deux pour me procurer la précieuse denrée. Mais jamais je n’ai tué pour en avoir. J’ai simplement saupoudré de neige, les traces que j’ai laissées.
La disjonction de la pastille de réglisse ! Merci pour votre texte qui m’a beaucoup amusée … et ramené ce petit goût si singulier et si puissant. Incomparable réglisse !
Texte étrange à écrire tant sa réalisation fût décousue… Elle s’est étalée sur un bon mois… Merci pour la visite le regard complice au sujet de la réglisse 🙂