Toujours du brouillard au bord des cils. Et au bord du brouillard, il y avait toujours des silhouettes d’arbres nus. Voisins comme ils l’étaient, les adultes les appelaient bois.
Et moi le bois, je l’attrapais. J’en faisais tourner la table ronde aux attaches en rotin. La seule table ronde à avoir un coin. Je lui faisais griffer mon pouce. C’était un coin enfoncé dans le bois. La table avait brûlé au contact du poêle à mazout du palier. C’était une marque noire avec un peu d’enfoncement où mon pouce trouvait sa place et même plus puisqu’il pouvait s’y frotter, à se faire griffer. La table transformait ainsi pour moi sa rondeur de balle, bonne pour les jeux d’hiver. J’y déversais des cahiers et des livres d’images et je faisais tourner. Le pouce se calait ensuite pour arrêter le mouvement, comme un fraudeur de roulette. Je ne savais pas encore que cela s’appelait tricher.
Aux jours de fin de brouillard, j’avais le droit à la terrasse. J’y traînais la longue boite. Boite en bois. C’est bien, le bois, c’est opaque. Une boite à jouets en bois, ça sauve de la mémoire. On imagine toujours des jouets en plus de qu’on a. En plus, la longue boite en bois prenait tout le temps qu’il fallait pour s’ouvrir. Je calais mon pouce dans l’encoche du couvercle, bien dans le sens où l’intérieur du pouce venait buter, mais il fallait forcer ! Surtout au début, tant qu’il y avait long de glissement dans la rainure de bois des deux côtés. Les compartiments de l’intérieur ne m’apparaissaient que petit à petit. J’avais bien le temps d’imaginer ! Et puis parfois un indien à cheval ou encore l’éléphant blanc coinçaient le couvercle. Bien sûr, ils voulaient gagner du temps et ils avaient bien raison. Je prenais le temps du soupir, c’était ma règle. Après seulement, bien accroupi, je soulevais la boite sous moi et je secouais. En général, ça décoinçait et la réalité entière de mes jouets pouvait se découvrir entière, se croyant maligne.
Aux jours de pas trop trouillard, avec une franche lumière j’osais entrer dans le garage. Dans un coin, appuyé contre les deux murs qui se rejoignaient là, il y avait les outils de jardin de mon père. De ma hauteur, je m’avançais vers une sorte de bois et en laissant la porte du garage à peine entrouverte -pour ça, il fallait vraiment ne plus être froussard- je pouvais m’approcher d’un bois dans le brouillard. Les manches étaient épais comme des troncs pour mes yeux d’enfant. Et le frottement de mes mains contre eux me faisait vraiment l’effet d’une friction d’écorce. Parfois d’ailleurs cela me faisaient crier. En ce temps, on n’appelait pas ça une écharde mais une épine. Comme si le bois était resté sauvage.