Un long couloir. Peinture bleue défraichie aux murs. Les lumières me paraissent lugubres. C’est la première fois que je lui rends visite. Nous entrons dans ce lieu comme dans un autre monde. Un monde parallèle qui se déploie avec lenteur, cris, sueurs. Arrivées devant la porte de sa chambre, quelques coups frappés doucement avant d’actionner la poignée et d’entrer. Elle nous attend, assise sagement sur son lit, juste derrière la porte. Elle nous regarde comme surprise, ébahie par cette attente qui se termine. Nous sommes là. Elle nous demande si on veut un café. Un jus. Des biscuits. Nous montre la table. Ne se lève pas. Reste assise au bout du lit. Le dos courbé. Résignée. Puis s’agite sur son lit, regarde par la fenêtre, vers la porte. Prisonnière sans barreaux. Ses cheveux comme des nuages blancs bousculés, vagues contrariées.
J’ai oublié de me coiffer, non ?
Elle montre une tache sur son pull. Semble désespérée a la vue de cette tache. Arrivée sans savoir. Elle a fait pourtant la lessive. Elle avait mis au sale ce pull, non ? Sorti un autre, propre et repassé. Ses yeux nous regardent. Elle ne comprend pas. Elle ne comprend plus. Toutes ces choses qui lui glissent entre les doigts. Glissent entre ses mains. Et son corps douloureux qu’elle a du mal à bouger. Mais surtout. C’est de l’air qui passe dans sa tête. Qui lui fait oublier toutes ces choses. Ce pull pourtant propre enfilé ce matin. Quand nous nous levons pour partir, ses yeux en détresse nous suivent du regard. Un homme en blouse blanche lui vient en aide. Nous vient en aide L’accompagne dans le couloir, la guide vers le salon, où bientôt tous prendront le repas, prolongeront peut-être la soirée devant la télévision, ou assis en groupes serrés, devant des jeux de cartes dont les règles lui échappent.
Ça ne me dit rien, je préfère rester seule ici.
Elle avance à petits pas, jusqu’à ce que je lui renouvelle un au revoir, un bisou sonore sur sa joue. Elle reste debout, puis reprend sa marche vers le salon, contrainte et forcée, sous l’impulsion de l’homme en blouse blanche à ses côtés. Ses yeux. Nous regardent partir, franchir le sas de l’accueil. Perdus. Noyés.
Poignant de vérité. Moment de réalité capté et si bien rendu. Tout le texte autour de la tache, très beau.
Merci Anne!