#anthologie #00 | bébé nageur

Depuis la fusion, je suis une machine. Impossible de lire le mode d’emploi dans son intégralité, mais je sais qu’il manque des pages. J’appuie sur des boutons, fait tourner des manivelles, tire sur des leviers, des nouveaux, des anciens, des polis par l’usage, des toujours inconnus. Je grince, je couine. Il manque déjà des dents à certains de mes engrenages. Je sens aussi que c’est plus souple par endroit et de plus en plus complexe à d’autres. C’est par ce que mon nombre de pièces est multiplié par deux chaque année.

J’ai eu mal. Beaucoup au ventre, un peu au cœur ; pas souvent à la tête ; une fois à une cheville ; très rarement aux os, maintenant que j’y pense ; de plus en plus au dos ; derrière les yeux un été ; souvent à mon orgueil, encore plus à ma conscience ; jamais à ma patrie ; quelquefois à ma famille ; vaguement à la Terre, et toujours par la pensée. Je touche du bois.

Je me suis déguisé. Je me suis déguisé en bébé, en bébé nageur, en enfant de chœur, en petite frappe, en bon élève, en cowboy, en indien, en policier, en voleur, en amoureux, en menteur, en sachant, en savant, en idiot, en fantôme, en vif d’or, en Rafiki, en Yoda, en manutentionnaire, en jardinier, en maitre nageur, en banquier, en maraîcher, en vendeur de chichis, en carrossier, en biologiste, en homme de paix, en gardien de la paix, en truand, en muletier, en randonneur, en alpiniste, en plongeur olympique, en demi-dieu transparent, en éléphant, en jaguar, en comedia dell’ arte, en acteur de cinéma, en photographe, en peintre, en peinture, en partie d’échecs, en guitariste, en batteur, en jongleur, en lanceur de couteaux, en danseur endiablé, en cerceau de feu, en théorie de l’évolution, en gros bloc de glace, en aveugle, en araignée, en veau, en mouton, en varech, en brindille, en coquille, en limace, en drogué, en prisonnier, en ministre, en moine, en lutin, en bunker ensablé, en crépuscule aubergine, en limaille de fer, en radeau de la méduse, en oncle français, en boule de pétanque, en horloge parlante, en petit soldat de plomb, en montagne, en forêt, en grain de sable, en humain, en monstre, en forain, en langue, en dentier noir, en miroir, en nuée, en écrivain et même en

J’ai dormi, j’ai rêvé. Le terreau est fertile entre les deux et se change en désherbant au réveil. J’ai rêvé de dormir, j’ai dormi d’avoir trop rêver.

Je prends l’avion, toujours presque le même.

A propos de François Tastet

J’ai trente-deux ans et j’enseigne les sciences naturelles à Paris. J’ai grandi dans la région bordelaise, près de l’océan. C’est la discipline de fer dont j'habille ma pratique de l’écriture qui apaise mes démons, règle mes journées et me fait voir le beau. Pour écrire, il me faut : lire, aller au cinéma, marcher seul loin de la ville et savoir mon corps capable de mouvements compliqués. Certains de mes textes ont été édités dans des revues à très petit tirage. Je brouillonne dans des cahiers d’écoliers dont on peut consulter certaines pages ici https://cahierdetravauxpratiques.notion.site/Cahier-de-travaux-pratiques-v-2-711e5b0ec46f45889271102f9b69e8e8.