Le camion est prêt à partir. Baa s’agite autour, il vérifie que les bagages sont bien arrimés, que les voyageurs les plus fragiles sont bien installés. Et puis surtout, il dit ce qu’il convient de dire en une telle circonstance.
« Ah, vous ne comprenez pas ce que dit Baa ? »
C’est vrai que Bah dit parfois un peu à rebours de ce qu’on attend. Ainsi quand il découpait le bélier tout à l’heure. Il paraissait très concentré, on aurait pu croire qu’il calculait par avance quel morceau de viande irait à qui… Et puis, tout d’un coup, il a pris une grosse boule graisseuse qu’il a avalée toute crue, à grand bruit. Il s’est justifié juste après.
« Mais il est vrai que vous ne comprenez pas ce que dit Baa… »
Et ce n’est pas tant une question de langue que d’imprégnation, comme je l’ai reçue moi, des histoires de Baa concernant sa capacité de se transformer à volonté en hyène. C’est ainsi qu’il aurait accompli de si grands voyages en si peu de temps.
Mais ce qu’il aurait pu dire à Bintu Tall, sa jeune parente, si elle avait été sur le point d’entreprendre son grand voyage à elle. Si elle avait été dans un grand camion de mariage partant vers un autre village, celui du mari ou plutôt dan un taxi brousse quittant le garage Dakar de Tamba pour aller vers la capitale ou plutôt montant dans le bus contrôlé par le contrôleur de famille Marega, celui qui fait voyager gratuit, pour aller jusqu’à l’aéroport ou plutôt finalement si Baa avait pu aller jusqu’à l’aéroport pour accompagner sa parente, sachant que lui n’irait jamais plus loin mais que là-bas, là où mènent les avions, là où il aurait su que j’allais, moi son grand ami, accueillir Bintu Tall sa parente et lui dans la salle de départ de l’aéroport aurait pu être le dernier à lui parler, le dernier à lui parler avant moi, le dernier à lui faire les dernières recommandations avant de quitter, avant de me retrouver…
« ce qu’il aurait pu lui dire, dans le fond, je ne le sais pas plus que vous. »