Elle ouvre à peine la porte, on la remarque. Le barman ne l’a pas vue, encore. Elle est bien fringuée. Lui, il a l’air d’un vieux marin. L’air seulement. Parce que le reste, c’est un état tremblant, un cerveau qui singe un vague trémolo de trompette. Mais elle s’en fiche, elle n’est pas là pour ça. Elle espère juste qu’il vend des cigarettes. Il ne lui reste plus rien. Affalé sur le bar, il y a un type qui sent le poisson. Suffit de se pencher pour ramasser, il dort à moitié. Il se réveille, c’est raté. Celui qui est derrière le comptoir lui demande ce qu’elle veut. Un verre de rouge, comme d’habitude. Il est grand, roux, barbu. Il pense la reconnaître, l’inverse est encore moins certain. Il n’était pas barbu à l’époque. Comment a-t-elle fait pour se retrouver ici, à cette heure. Ses yeux ne lui échappent pas. Elle se demande comment aborder la chose, ça l’ennuie terriblement. Avec un peu de chance, de toute façon, ce n’est pas lui. Le type aux cigarettes se lève, il n’a pas l’air bien. Il crache par terre un tas noir. Elle renonce à lui demander quoi que ce soit, ce qu’il a commis est terrifiant. On dirait que ça bouge encore. Elle s’y noie, avale et recrache la bouillie jusqu’à vomir du sang et s’effondrer dans les bras du barman qui la voit défaillir. Il l’assoit sur une chaise. Lui propose un verre d’eau, mais elle préfère un whisky. Ça soigne bien ce genre de choses, le whisky. Elle demande immédiatement la bouteille. Elle accepte malgré tout le verre parce que c’est plus correct. Mais ce qu’elle veut, surtout, c’est une cigarette. Le dégoûtant est parti. De toute façon, il est dégoûtant, le dégoûtant. Le barman n’a pas l’air de fumer. Quand il revient, elle tente le coup, il fume des cigarillos, finalement. Il repart s’occuper des autres clients. Ça va bientôt fermer, mais elle devrait réussir à finir sa bouteille sans trop de mal. Quand il repasse près d’elle pour servir un dernier verre à un autre vaurien affalé au comptoir, il juge utile de préciser qu’il ne pourra pas accepter celui ou ceux qu’elle attend, comme si c’était une évidence, qu’elle attendait quelqu’un. Son air triste il fait ajouter qu’il peut reprendre la bouteille si elle veut, elle ne paiera que ce qu’elle a bu. Elle répond que non, ça ira et qu’elle veut bien un cigarillo. Nouvel aller-retour. Il tient une petite boîte dans la main. Il y glisse un long cigarillo qu’il découpe en trois morceaux parfaitement égaux. Il lui en tend un, porte un autre à sa bouche et laisse le troisième sur la table si elle veut. Le court cylindre brun lui rappelle le glaviot craché par l’autre type, tout à l’heure. Elle ne sait plus vraiment si ça la dégoûte ou pas, ni ce qui la dégoûte vraiment, en définitive. Beck est une ville magnifique, surtout sous la neige et la glace, mais tellement sale, parfois. Surtout dans les coins les plus reculés des cervelles. Qu’est-ce qu’elle voudra quand elle sera arrivée au bout de son bout de branche ? Une vraie cigarette ? Il faudra attendre demain matin ou repartir à la recherche d’une poche pleine de trésors à vider. Pour ce soir, le route s’arrête. Elle a aussi une bouteille à finir et une décision à prendre. Les barbus, elle connaît. Ses grandes mains et son nez fin, elle les connaît. Ils se reconnaissent. Elle mangerait bien un bout, maintenant qu’elle a eu ce qu’elle voulait (le cigarillo, ça ne vaut pas le tabac blond, mais c’est toujours mieux que de fumer du thé). Elle a marché sans s’arrêter depuis qu’elle a fini son service. C’est contrainte par le froid, qu’elle s’est finalement décidée à faire du stop. Une petite vieille s’est arrêtée. Un peu bavarde, mais sympathique. Un moindre mal. Ce qui l’attend quand elle rentrera – si elle rentre – est bien moins séduisant. Le barman se met à rire. Elle suit, par mimétisme. Il va penser qu’elle le trouve drôle. Est-ce une si mauvaise idée. Elle se ressert, dans quelques minutes les décisions seront plus faciles à prendre. Peut-être qu’elle pourrait rentrer dès ce soir pour en finir définitivement. Est-ce qu’il est avec quelqu’un – elle se demande bien pourquoi elle prend la peine de poser la question – et il répond que oui, mais rien de bien sérieux, une fille un peu plus vieille que lui, une ancienne serveuse. Comme elle. Elle s’appelle comment ? Ça n’a pas d’importance, elle oublie, comme elle oubliera tout ça plus tard, il vaudra mieux. Beaucoup de choses à oublier, mais le flou permet au moins d’entretenir l’illusion. Elle n’a pas l’air dans son assiette. Si elle veut, elle peut rester dormir. Il y a plusieurs chambres au-dessus, c’est un ancien hôtel. Il ne veut pas s’embêter avec ça, c’est de la paperasse, mais si ça peut dépanner, pourquoi pas. Il va falloir qu’elle se décide, par contre, il ferme le rideau. Elle a mal au ventre, c’est inéluctable. Tant pis. Après tout, on ne lutte pas contre ça. Le risque n’est pas énorme. Il a l’air gentil.
Et il ne faudrait vraiment pas avoir de chance.
le flou, une vraie arrivée, au moins une pause
Oui, souffler, prendre sa respiration avant d’affronter l’inconnu
Brigitte, il me semble la suivre partout et toujours son commentaire ma va. Lol. C’est vraiment un début. Impressionnée. Merci.
Oh, merci pour la visite 🙂
Désolé de ne lire le commentaire que si tard, j’ai été absorbé par bien des distractions, mais me voici de retour 🙂 Touché en tout cas.
Beck est un patelin épatant depuis tout le temps ! Ces histoires beckoises faut vraiment qu’elles se recueillent.
Oui ! C’est du décousu, mais ça se tisse !