On lui ouvre la porte alors il se plie et sort. Il ne connaît pas cet endroit et ne veut pas le connaître. Ce doit être le matin, la lumière ne semble pas tomber. Son regard s’élève. Il y a encore un peu de force là-haut. Il y a une avenue, large comme celles des villes moyennes, des commerces d’un côté qui s’enfoncent vers un centre-ville sur la gauche et à l’opposé rien qui ne retienne son regard. Quand il se retourne, quelques arbres nassent un parking qui les ignore. Trois marches, pierre grise, longues, épuisées. Combien comme moi, avant moi ? Il y a un chien, il n’y connaît rien, c’est plus simple, un chien c’est tout. Qui pisse là. C’est sûr, évident même, ces marches sont bien plus son territoire à ce chien-c’est-tout que le sien, d’homme qui ne veut pas y être. Une marche, deux, puis trois. Un couloir s’enfuit devant. Les sons de la rue résistent encore un peu avant de s’échapper. Un moteur, quelques voix, une canne peut-être. Il aime écouter parce que c’est ce qu’il possède de plus précieux depuis tout ce temps. Ecouter et imaginer les mondes qui se dessinent à partir de murmures, de notes, de cris. Il avance, discret croit-il mais non, tout résonne. Le froissement d’une veste aux confins du hall se répand en échos de part en part et semble revenir le surprendre, derrière ; ce chuchotement dans un recoin ne dit rien mais ruisselle sur les pavés et vient se coller à ses semelles ; une porte s’ouvre ou se ferme et c’est un grincement lugubre qui vient hanter l’air jusqu’au-dessus de lui. Pourquoi ça résonne comme ça ? Il y a du bois, de la pierre, des dorures. Ça brille, ça impressionne, ça se tient fièrement face à celui qui entre aussi épuisé que le perron, aussi lessivé que la pisse de chien dessus. Ça sent le propre trois fois par jour. Les deux hommes qui l’accompagnent, un pas derrière, résonnent eux aussi. C’est étrange. Leur silence étourdit et se propage, rebondit sur les murs, ici une tenture, là un tableau, fresque chasseresse, plus loin un panneau lumineux organise les flux. Pourquoi ça tait et ça crie à la fois ? Il avance et n’ose pas tousser. Il ne sait pas exactement où il va. Enfin si. C’est la géographie des lieux qu’il ne connaît pas, c’est cette ville qu’il ne veut pas entendre, ce sont ces gens qu’il ne veut pas sentir, ce sont ces murs qu’il ne veut pas toucher. Le sens de tout ça, il le sait. Une main sur son épaule. Il s’arrête. Un doigt indique une porte à droite. Close. Elle doit être lourde. Elle va gémir elle aussi. Elle ouvre sur un monde à part, ça aussi il le sait. Plus rien ne sera comme avant. On lui ouvre la porte alors il se redresse et entre. Il y a des vivants ici, éparpillés ou organisés selon un dessein qu’il n’entend pas. Il avance car il n’a que ça à faire de son corps. Il cherche un visage, peut-être deux, possiblement plus qu’il puisse reconnaître. Pas pour se rassurer, ça ne servirait à rien. Juste du familier. Il avance, encore. C’est long ou c’est lent ? Il hésite. Une main sur l’épaule. Un doigt pointé. Il s’assied. Il sait qu’il reviendra demain.
oui, et bon format pour la suite, mais ne pas hésiter à laisser gonfler comme belle pâte d’ici dimanche prochain !
Ha merci François! Je garde ça à température ambiante sous tissu humide alors 🙂
J’aime dans ce texte le flou, l’opacité, la pesanteur, le côté dégoulinant d’une ville sous la pluie, le contours floutés, la porosité entre le dehors et le dedans, pourtant pas une goutte de pluie si j’aime bien lu, sans doute la pression atmosphérique qui traverse ce texte
Merci Marion. C’est drôle, ce mot dégoulinant, comme Lisa, tu l’as choisi. Il faut que je creuse ça. Et j’aime beaucoup ces idées de porosité, de pression atmosphérique.
Très cinématographique! L’inquiétude d’un personnage qui dégouline, oui, qui essaie de tenir droit dans le décor
Ce qui est un peu dingue en participant ici l’atelier c’est que avant je n’avais jamais été lue (6 personnes en tout et pour tout mon manuscrit) et je découvre que le lecteur/la lectrice offre toujours un supplément d’âme, ou voit quelque chose dont je n’avais pas vraiment conscience ou pas les mots. C’est fou! Et c’est chouette 🙂
J’aime beaucoup ce que vous dites. C’est tellement vrai. Curieuse de revoir ce texte après la mise à lever… Belle entrée en piste. Merci
c’est une atmosphère onirique pour moi – avec des sons / sensations qui font basculer dans de nouveaux plans … et je me demande quelle part de lui sait / sans savoir ce qu’elle sait …
Belle question… Qui sait? Merci Jacques pour ta lecture 🙂
Avancer car il n’a que ça à faire de son corps – sans doute de ce côté-là l’inattendu de l’aventure… à suivre…
Merci Christiane. J’espère qu’il y a des portes à ouvrir, plusieurs, et celle-ci alors 🙂
La voix, les sons présents tout le temps. Et puis la porte qui s’ouvre pour nous aussi. Envie d’avancer avec lui. Merci pour « Il y a des vivants ici, éparpillés ou organisés selon un dessein qu’il n’entend pas. », qui me fait penser à ce qui se donne et s’échange ici-même ( WordPress, je veux dire, et aussi atelier(s))
Oh j’aime ce parallèle, nous vivants ici 🙂
Merci pour ta lecture Agathe, et ton message
Rétroliens : … et de brouillard – Tiers Livre, les ateliers d’écriture
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