Autour de la table, il y a V.. avec la gaîté joyeuse et l’appétit des grands jours où la pluie ne l’accueille pas dans ses projets. Le grand frère lui a fait traverser la plaine monotone, puis l’a déversé à Ambérieu. De là il est venu sans soucis en traversant d’abord le massif du Bugey. De là-haut, la vue des peupliers et des marais de Chautagne l’a réjouit, même s’il dut ensuite se mouiller les pieds et les sandales à l’approche du Rhône après les orages des jours précédents. Il a pris alors encore une fois le chemin de l’école par la Dent du chat.
Mlle H. entend elle encore le bruit des cascades de la Couz. Dans un virage, elle a arrêté le tandem mixte rétrodirect d’un signe de la main à son compagnon en arrière d’elle. Ils ont traversé la voie de chemin de fer et se sont aventurés sur un petit sentier, laissant la machine contre un arbre. Ils ont soigneusement étendu leurs vêtements sur des branches pour que s’évapore un tant soit peu la sueur de la montée, posé leur chaussures sur un parterre de mousse. Leurs pieds ont cherché l’équilibre sur les pierres et les rochers glissants avant de pouvoir rentrer plus complètement dans l’eau fraîche d’un bassin naturel. Elle a senti sa peau trembler à la première brasse. Rousseau en marcheur était venu là lui aussi et avait tenté de passer entre la falaise et la chute d’eau. Elle ne s’y est pas risquée, abasourdie par le bruit.
D. est venu des Cévennes, filant vers Gap, Lus puis Mens et Grenoble. Il a remonté ensuite l’Isère par la rive droite, rejoint Chambéry puis gagné les Échelles par Aiguebelette, Bridoire, Saint-Béron et les gorges de Chailles. Volubile, il a l’éloquence des itinéraires qui se multiplient comme des petits pains lorsqu’il partage une tablée. Sa peau ne respire jamais autant le contentement que lorsqu’il est à l’ombre d’un arbre majestueux une journée d’été. Assis sur un banc le dos à un épicéa qui deviendra peut-être un jour mat de navire, il devise sur l’herbe rase et l’âpreté du Dévoluy en contrepoint des odeurs d’écorce et de café.
B. photographe amateur a tenté d’immortaliser ce moment. L’objectif s’est malheureusement décentré au moment du déclenchement. Aussi quelques semaines plus tard l’image de tous les convives réunis a été coupée au niveau des cous, laissant seuls apparaître au-dessus des tasses des torses, des bras et quelques mèches ondulées de cheveux longs.