Elle pousse, elle grandit en nous, elle s’enracine dans les années, cette vitalité brutale et égoïste des êtres vivants. Le monde s’agite en rafale, le vol d’un papillon à Bombay est peut-être à l’origine de la brise marine qui nous fait trembler. Enfant-printemps il faut s’accrocher au sol, rentrer dedans est une façon de résister. Il faut éviter les contacts parasites, les mauvaises herbes, trouver un environnement favorable à son épanouissement. Chercher la lumière dans le regard des autres, sans elle on s’éteint et quand on a trouvé cette lumière, on brille, convaincu d’être un soleil alors que nous ne sommes qu’un miroir. Ensemble nous reflétant les uns dans les autres, nous nous voyons, nous rassurons. Une autre stratégie est possible, se laisser porter par le vent, arriver étranger quelque part, et là dans une fissure, cramponner sa vie. Avec le temps, doucement, lentement, tisser son réseau, faire de cet endroit sa terre, mais jamais on n’oubliera le sol natal. Ce sol c’est celui qui nous nourrit pour la première fois, on a construit notre goût avec lui. Cette saveur-là, peu importe qu’elle soit riche de nutriments exotiques ou pauvre faite d’une poussière noire, a formé nos racines, elle les a contraintes et modelées. Toute notre existence, nous nous développerons en suivant cette matrice originelle. Ailleurs nous prendrons place, mais notre façon d’être apportera dans ce nouveau territoire la singularité de notre forme primaire. Nous sommes aveugles à nos différences, le miroir des autres nous permet quelquefois de les apercevoir. Nous regardons notre reflet, nous ne nous reconnaissons pas, on recule, puis en s’approchant on reconnaît ce mirage du pays ancien. Le temps passe, enraciné ou déplacé, la vie des autres nous apparaît pleine d’accidents. Ils sont couverts de cicatrices, tous, sans exception. On ne voit plus de leurs existences que ces stigmates, alors étourdis on cherche à comprendre, à donner du sens, certains y usent leurs vies. Ces écorces marquées ne sont que des enveloppes. Au cœur, là au profond de nous, il y a ce que nous sommes, ce qui croît et décroît selon les saisons et les aléas climatiques. En période estivale, nous nous nourrissons des rencontres, de la lumière que nous recevons ; nous en profitons pour nous enraciner plus profondément. C’est dans ces moments de nos vies, que nous essayons, que nous tentons, que nous risquons, car il faut de la force pour oser. Et si jeune pousse, nous avons la chance d’être entouré de grands êtres, alors nous pouvons nous développer plus facilement, guidés par ces tuteurs humains. Chacun essaiera de toucher le soleil, de grandir. Plus on s’élargira, plus on grandira, plus on devra s’enraciné. Cet enracinement nous nourrira et nous arrimera au sol. Nous croiserons d’autres individus, et en communiquant avec eux, nous nous enrichirons, nous apprendrons, et la richesse de ces échanges et leurs profondeurs nous agrandira. Des liens se créeront, et si parfois nous les voyons comme des attaches, ils sont souvent des guides. Votre vivrez peut-être dans un petit jardin, une vie modeste où vous semblerez étranger à vous-même, ou peut-être votre existence sera-t-elle celle d’un grand arbre magnifique aux mille miroirs se reflétant au coude d’un fleuve. En hiver avec les années des peines viendrons-vous faire plier, alors âgés, tels des saules pleureurs, vous vous courberez et vous apporterez un peu de fraîcheur au jeunes arbres pris par le courant des rivières de larmes puis asséchés, ridés, votre fin arrivera, mais vous continuerez d’exister dans la suite de votre lignée, dans les traces de vos racines, et si par hasard votre lignée s’arrête, vous existerez dans l’influence que vous aurez eue sur les êtres que vous aurez croisés. La vitalité brutale et égoïste qui nous anime dès notre création, nous fait oublier que nous ne sommes que les éléments d’une forêt, un ensemble d’êtres essayant de vivre en symbiose pour un temps sur un espace limité.
Codicille: l'éponge que j'ai dans la tête, en écoutant les consignes, s'est imprégnée du mot arbre, j'ai donc écrit ce texte.
merci pour la rectif du codicille, si important de nous laisser l’espace libre entre soi et le texte !
Si seulement les humains pouvaient vivre la communauté de tes arbres!!! Belle identification.( je ne connais pas les consignes, je passais en glanant)
merci
Cette notion d’être arrimés au sol me plaît bien, merci Laurent pour ce collectif arbres et hommes, on se sent enveloppés .