la vie passe, mystérieuse caravane, dérobe-lui sa minute de joie Omar Khayyam- Les quatrains
Toutes les images disparaîtront
le blaireau pris dans le feu des phares, entre falaise et précipice, il ne peut s’échapper, son corps trapu, bandes noires et blanches, sa large croupe dandinante
au beau milieu de la route forestière, un casse-noix moucheté à la recherche de pignes de pin cembro, imperturbable il trace sa route, kra-kra
les ours polaires, la banquise fondant, plus de phoques à se mettre sous leurs dents, ils adaptent leur nourriture, font les poubelles des humains
comme un radeau posé sur la mer d’Iroise, l’île de Sein
le kouign-amann doré, trop gras, trop sucré, trop salé, ruisselant de miel, titille les papilles
en piqué, le goéland se précipite sur le fish and chips qu’une femme tient dans sa main, le lui arrache, s’envole, sa frayeur, ses cris se mêlent à ceux des mouettes, un goéland chapardeur
Jonathan Livingstone, un goéland pas comme les autres, coincé au fond de la bibliothèque, fallait le délivrer, qu’il vive sa passion : voler toujours plus haut et plus vite pour être libre
sur la plus haute étagère de la Bouquinerie, un livre sur Botero, dessins et aquarelles, sur la couverture, une femme luxuriante, chair épanouie, bouche vermeille, hommage aux rondeurs
à Lisbonne, la Maternité de Botero, la Gorda, la grosse, l’enfant aussi énorme
le nouveau-né dans son berceau d’osier, rose, tendre, paisible, ses petites mains potelées, ses joues rebondies, duveteuses
entre rire et larmes, une femme jeune encore, sa fille vient de lui apprendre qu’elle est enceinte, elle s’émerveille à l’idée d’être grand-mère, elle est terrorisée pour cet enfant qui va affronter un monde en perdition
sur son lit de mort, lui comme un géant foudroyé, un chêne abattu
au bout du chemin un dernier adieu
Le sentier / Ne cache pas sa joie,/ Au sortir du sous-bois, / D’entrer dans le soleil. Guillevic – Agrestes
dans le ciel deux milans royaux, longues queues échancrées et comme une main blanche sous leurs ailes, volent en larges cercles à la recherche d’une proie
en file indienne, des scouts tentent une démarche virile, un aumônier les accompagne, il se dandine comme un canard, sous chapeaux de brousse ou bobs, suants, boutonneux (pas le cureton nickel)
dans une ruelle de Taroudant, la mendiante figée, collée au mur pour profiter de son ombre, main tendue décharnée
une terrasse de café au soleil, un espresso crémeux corsé, deux doigts de café dans une petite tasse et un verre d’eau fraîche
le maçon termine sa pause-repas, il crie à ses compagnons : non, je ne suis pas algérien, je ne veux rien avoir à faire avec l’Algérie, je suis Kabyle, j’en suis fier
en EHPAD le vieil homme ne sait plus qui il est, où il est, il voit en sa fille sa femme, il la supplie, il veut mourir, il hurle son désespoir, on le retient en prison, il veut vivre dehors, dehors, dehors
à la sortie de l’école maternelle, une mère et son petit garçon, la mère tousse, l’enfant : dis maman, tu tousses, t’as le virus ?
Visages enmasqués, voix étouffées, pas de sourire, ni expressions, ni mimiques, le vide du masque, de l’italien maschera = faux visage, en latin masca = masque, sorcière, spectre, démon, des spectres déambulent dans les rues du village
au bistrot, une jeune femme étonnante, cheveux fuchsia étincelants, visage rond, anneaux d’argent dans le lobe de l’oreille, l’aile du nez, le coin de la lèvre, jambes fortes sous un short bien court exhibant un tatouage, attrape-cauchemars : le cerceau s’étale sur ses cuisses, les plumes-indien, les perles dévalent sur ses genoux, ses tibias, d’un bleu très soutenu
devant le panneau urgences de l’hôpital, un homme installe un petit garçon au bras et à la main bandés, l’enfant serre contre lui un ours fatigué, pas un mot, pas un sourire, photographie-souvenir de vacances à la montagne
Causse Méjean, lointains bleutés, une poubelle avec cette injonction : partout / si tu fais caca / ramasse / ton papier
des monceaux de détritus, masques, tubes de gel, tenues de protection en milieu hospitalier, parois contre les postillons, bouteilles, en plastique, tout en plastique, et dans les mers en particules fines, le 7ème continent, vortex d’ordures, soupe plastique
un record : La France a franchi samedi, jour de Noël, la barre des 100 000 nouveaux cas de Covid-19 en 24 heures, du jamais vu, alors que le gouvernement doit réévaluer la situation lundi.
le mème jour, dans le quotidien un article au titre percutant : un corps sans tête découvert au bord d’une route, l’hypothèse d’un crime est privilégiée
les pubs d’avant Noël à la télé pour les parfums de grande marque, femmes-objets, brillant de mille feux, en robe écarlate et paillettes, virevoltante, en robe dorée, transparente, corps offert, la vie est belle intensément avec le parfum X, Y, Z, là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ! bling bling d’un idéal féminin frelaté et de ses attributs : cadeaux, roses, parfums à consommer
fêtes de fin d’année, frénésie d’achats, en attendant la fin d’un monde, le père Noël est une ordure
Zemmour, sexiste, xénophobe, homophobe, identitaire, est invité à la télé, provocation, joutes verbales
les femmes en colère prennent la parole, dénoncent, demandent aux hommes de changer, pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19, pour mettre fin aux discriminations et aux violences sexistes et sexuelles, #RegardeMoiBien quand je dis non, fini l’indifférence envers les femmes !
Images lointaines qui resurgissent, oubliées, présentes
Dieu créa la femme, BB danse, beauté, insolence, sensualité, jeunesse, fascination
Gérard Philippe, sublime prince de Hombourg, éternellement jeune, éternellement beau, sa démarche féline, ses pas vibrent sur les planches du plateau
Ferré dénonce la peine de mort, refuse toute forme de pouvoir, religieux, politique ou social, il ne veut « Ni Dieu, ni maître»
Anne Sylvestre rend hommage aux femmes, à sa mère, une sorcière comme les autres, supplie les hommes, s’il vous plaît / faites-vous léger / moi je ne peux plus bouger
et la Dame en noir, voix-piano, une petite cantate / du bout des doigts / obsédante et maladroite / monte vers toi
et aussi
Antoinette Fouque hurlant dans un meeting : nous les femmes, nous n’avons pas besoin de repères, assez du père, assez
1968, les slogans fleurissent dans les rues, sur les affiches, il est interdit d’interdire, sous les pavés la plage, faites l’amour, pas la guerre
1970, les femmes s’en mêlent, un homme sur deux est une femme, mon corps est à moi, mon corps, mon choix, un enfant si je veux, quand je veux, ni dieu, ni maître, ni mari, ni patron
1971, l’appel dit « des 343 », un million de femmes se font avorter chaque année en France, je déclare que je suis l’une d’elles
1972, une jeune fille, Marie-Claire, 17 ans, est jugée pour avoir avorté à la suite d’un viol. La jeune fille, défendue par Gisèle Halimi, militante féministe, est acquittée.
1974, Simone Veil affronte 74 orateurs, sous les injures, 25 heures de débat, elle leur tient tête, la loi sur l’IVG est votée par 284 voix contre 189, le 29 novembre 1974, désormais la France n’est plus en chrétienté
Gisèle Halimi, procès de 1978 devant des jurés d’assises, à Aix-en-Provence, l’avocate défend deux jeunes touristes belges, homosexuelles, violées par trois hommes près de Marseille, « Une femme violée, c’est une femme cassée », six ans de prison pour le meneur , quatre ans pour les deux autres.
1980, une loi pénalise pour la première fois le crime de viol et le redéfinit au-delà de la seule relation vaginale imposée, c’est désormais « l’acte de pénétration » qui caractérise le viol.
S’envoleront, faisant sarabande, les mots, de tous les jours, les mots d’amour, les mots de sagesse, de folie, et les citations relevées dans les livres aimés
avec Mallarmé ce désir, donner un sens plus pur aux mots de la tribu
les mots nouveaux à découvrir, à comprendre, en vrac, cis-identité, cisgenre, non-binaire, neutre, agenre, genderqueer, genderfluide, qui sont-iels ? enbyphobie, rejet des personnes non binaires
what else ?, les anglicismes qui pullulent, liker, speeder, squatter, faire le buzz, avoir un scoop, être cool, fun, speed, dans le show-biz, en prime-time… remplacer ces mots par des termes français, s’amuser comme les Québecois, le cloud devient infomagique, le week-end la vacancelle
avec Issa, cette phrase prémonitoire
tous en ce monde / sur la crête d’un enfer / à contempler les fleurs
tous se berçant d’illusions face à ce monde en déclin, en mouvement vers l’effondrement
Les images convoquées ici seront effacées par le dernier souffle de vie, la mort détruira toutes ces images, rien, vraiment plus rien, le néant et le silence d’un monde en folie.