Côté Nord de la cour-jardin, la maison du fond s’élève en face de l’immeuble principal, façade jaune fané, volets verts, cigale en céramique près de la porte-fenêtre. Une spécialité marseillaise, cette pièce unique, souvent salle de jeux pour les enfants, ici devenue un débarras bordélique, un cafouche. À vider.
Le long du mur aveugle, face à la porte, un buffet Henri quelque chose, sculptures empoussiérées, horribles cornes d’abondance déversant des fruits. Oubliés sur le plateau de marbre, une statue de Diane chasseresse bandant son arc, en bronze vert, un buste de femme pudiquement voilé, sur un socle noir une éléphante aux défenses acérées et son éléphanteau. Dans le placard du haut, une série de chapeaux de paille, fatigués, rubans décolorés et comme neuf un chapeau conique en bambou, le non des vietnamiens, près d’un bob en toile verdâtre. En bas du buffet, des piles d’assiettes dépareillées, souvent ébréchées et une bassine en tôle émaillée cerclée de bleu vif, en son centre trois roses écarlates. Des plats creux en terre cuite. Un petit miroir terni.
Le long du mur toujours, des chaises en vrac, à rempailler, à bricoler, à rénover, une vieille machine à coudre Singer, trois raquettes de tennis, un sac de jute rempli de boules de pétanques, une cage d’oiseau.
Accrochés au mur, un râtelier de bois et velours grenat, exposant un sabre dans son fourreau de métal, un fleuret, une épée et sa dragonne, une baïonnette, un casque, une rapière, un casse-tête… et une lithographie : le Sacré Cœur de Jésus adoré par deux anges, planant au dessus d’eux le Saint-Esprit en colombe, du feu, des flammes, du sang, de l’or.
Près de la fenêtre, une commode Ikea en bois blanc, un de ses pieds remplacé par un parpaing. Une feuille du Provençal ouverte à la page sportive accueille des plantes, romarin, thym, origan, mélisse, cueillies, mises à sécher, oubliées, à jeter. Dans le tiroir du bas, un album photos, des journaux pour les enfants et au milieu, comme égarés, Le vrai visage du Padre Pio édité en 1955 par Le Livre de Poche chrétien, La tragique existence de Victor Hugo de Léon Daudet, un missel, et liées par un ruban bleu des images pieuses de première communion. Dans le tiroir du haut, des boites. Dans la première, soigneusement rangées chronologiquement, des cartes postales échangées entre Zulma et Fernand durant la guerre de 14/18. Dans une autre, des boutons de toutes sortes, grands, petits, en corne, en bois, en métal, en nacre, en forme de fleurs, de cœurs, de cerises, de coccinelles. Dans la dernière, rubans, dentelles, élastiques, galons, des canettes de fils colorés, deux dés à coudre en argent massif.
Sur la grande table, des cartons fermés, scotchés, étiquetés. Pour le Secours Pop, des vêtements, des peluches et la girafe Sophie. Pour la Miraille, un service de table, des verres, des nappes. Pour l’Épicerie littéraire, des romans, des BD. Pour Emmaüs, des bibelots, des vases, du linge, des piles de torchons. Dans une grande corbeille, pour la Ressourcerie, des appareils à recycler, un grille-pain, un téléphone portable, une tablette, un sèche-cheveux, un réveil, deux montres, un robot de cuisine.
Vider. Trier. Jeter. Donner. Vider.
Garder la petite commode Ikea. Réparer son pied. Ouvrir ses tiroirs aux trésors. Vite, jeter à la poubelle Le Padre Pio, son odeur de sainteté me dérange. Mettre de côté le livre de Léon Daudet, à lire par curiosité, mais étiqueté monarchiste, catho et action française, c’est lourd, non ?… Installée devant elle, la petite commode sans prétention, ouvrir ses tiroirs. Dévoiler ses merveilles. Feuilleter l’album photo, les journaux d’enfants, retrouver un Bécassine avec joie. Lire les lettres des mes grands-parents paternels, les découvrir jeunes et amoureux. Subissant la guerre. M’amuser avec les images pieuses. Vive la bondieuserie. Plonger mes mains dans les boutons, les rubans, les dentelles. Jouer, comme autrefois dans le magasin paternel, à la mercière. Rêver. Jouir de l’instant présent.
Il est chouette votre texte. Beaucoup de statues, missels, de Padre Pio, des images pieuses, des sacrés cœurs, une vivacité à décrire, de l’humour, et puis au tournant, « mais étiqueté monarchiste, catho et action française, c’est lourd, non ?… » quelque chose qui vous dérange.
… un écrit comme une traînée de cafouches qui n’en finirait pas – assurément à la rescousse de tous les cafouches de la terre – merci pour ce mot ignoré !