Elles sont là silencieuses, quelque fois grinçantes, toujours stoiques à nos joies, à nos peines, à nos colères, à nos élans de tendresse; elles écoutent sans entendre des paroles passionnées ou les moins avouables; elles nous protègent des menaces extérieures et des vicissitudes de la vie; elles nous abritent du froid en nous offrant un cocon douillet; elles assignent aux uns et autres un espace à soi, seul avec soi-même où à partager entre intimes; elles balisent notre intérieur de repères qui ordonnent notre quotidien; ici la salle de bain, la cuisine au fond… Elles nous invitent à entrer dans des lieux ouverts à tous, parce qu’une plaque apposée sur un mur ou sur un battant, nous dira, sitôt franchi le seuil, que l’espace où l’on se trouve, est un lieu public, une maison commune à l’usage de tous. Elles sont celles qui ouvrent sur le monde, un rite de passage ou une quête existentielle, pour un départ ou un recommencement dans la vie, forcé ou librement consenti, avec ou sans espoir de retour. Elles sont aussi celles des lieux de réclusion, celles qui enferment, par nécessité ou par choix, les prisonniers, les malades ou les fous, ou les religieux. Une porte peut-être tout cela à la fois et bien plus…On compte beaucoup sur elles…Et pourtant elles ne paient pas de mine à les voir alignées en rang d’oignons dans les rayonnages de la grande distribution. Elles s’offrent à nos regards, en format rectangulaire, plus ou moins larges, mais de tailles égales, en bois plein ou vitrés, lisse ou rugueux, peint ou à peindre, en style industriel ou nature, à battant à droite ou à gauche. Elles peuvent être coulissantes ou basculantes; elles peuvent être sur des rails avec ou sans accordéon; elles doivent rester silencieuses pour un usage acoustique; elles doivent rester glaciales à tout débordement incendiaire; elles sont parfois une barrière que l’on ne franchit pas ou une porte de chantier que l’on retirera sitôt l’achèvement des travaux. Chacune a sa fonction; les unes resteront à l’intérieur, les autres iront dehors…certaines seront confinées à la cave d’autres fileront dans les chambres à coucher…les unes monteront à l’étage tandis que d’autres trouveront leur place au rez-de-chaussée ou dans le garage…Quelques unes seront portes et fenêtres au choix ou bien servant d’issue de secours en cas d’urgence. Chacune restera chez soi en étant priée de ne pas dépasser son seuil de porte. Pour éviter le mélange des genres et pour ne pas les confondre, on les attife d’atours distinctifs : aux unes, des poignées de porte avec ou sans serrure, sur plaque ou sur rosace, avec bouton ou heurtoir: avec fermeture simple avec ou sans cylindre quand ce n’est pas un simple verrou apposé au verso du vantail; aux autres, les entrebailleurs et les judas, les ferme-porte à compas ou à ressorts, avec ou sans butée, et de temps à autre un hublot d’intérieur pour regarder de l’autre côté de la porte. Alors au gré de nos sentiments et de nos besoins, on les parcourt l’une et l’autre, de porte-à-porte, que nous ouvrons quelquefois en cognant à l’huis, avec tact et délicatesse, pour ne pas indisposer l’occupant des lieux. qui pourrait tout aussi bien nous claquer la porte au nez.