Elle s’appelle Raymonde. C’est une femme forte, corpulente dans son corps, solide dans sa tête. Croyante, sincèrement croyante en Dieu, en ses saints, voue dévotion à Saint Joseph. Sa statue trône en bonne place dans sa cuisine, la pièce à vivre de sa maison. Elle lui adresse des demandes, il doit lui répondre, intercéder pour elle, en quelque sorte assurer à chacune de ses prières un miracle. Que sa vie s’écoule paisible, que ses enfants soient obéissants, que le chat guérisse de sa pelade, que le gel du printemps n’abîme pas les fleurs du cerisier. Elle lui offre des bouquets de roses quand entre eux deux tout se passe bien. Si la réponse se fait attendre, elle le gronde et le met au piquet, le nez au mur. Qu’il se dépêche de l’exaucer. Elle sait que la punition sera de courte durée. Sa foi est celle du charbonnier, absolue, inébranlable.
Elle se fait appeler la Belle Hélène. Elle aime raconter ses péripéties autour du bassin méditerranéen quand elle offrait son corps aux militaires dans les bordels de campagne. Elle a travaillé dur, économisé, un joli magot, elle a pu acheter un hôtel au Panier à Marseille. L’hôtel était de passe. Les mœurs, le fisc lui sont tombés dessus, ont tout raflé. Une vie de travail et d’épargne pour assurer ses vieux jours. Il lui reste un perroquet dans une cage, un caniche frisotté, quelques bijoux d’or qu’elle a sauvés du désastre. Et son rire, son rire, une tornade. Et le perroquet qui hurle : sales flics.
C’est un homme bien sous tous rapports. Bien élevé, bien intégré. Réussite sociale et professionnelle parfaite. Bien habillé, cravaté, costume trois pièces strict. Nickel, disent ses enfants ! Lui manquent le sourire et la joie de vivre. Quand il rentre le soir, la maison s’enferme dans le silence. Il a besoin de repos, il y a droit. Quand il part le matin, il clame : Je vais au charbon. La porte claque derrière lui.
Menue, toute blanche, Mémette. Mémette perd la tête. Sa fille la surveille. Peine perdue, Mémette attend qu’elle s’éloigne. Mémette se rue dans la cuisine, s’empare des ciseaux, fait razzia de tissus, quels qu’ils soient, des torchons, un jupon, du crépon, un édredon. Autrefois couturière, elle retrouve sa joie d’antan, elle s’active, coupe, découpe, déchiquette les tissus, les froisse. Les tissus, les vêtements deviennent morceaux minuscules. Elle plonge ses mains dans le tas qui grandit à ses pieds. Elle lance à la volée ces sortes de confettis. Sa chevelure argentée se pare des couleurs de l’arc en ciel. Elle brandit ses ciseaux. Elle rit.
On disait de lui que c’était un joyeux drille. Il aimait boire, jouer aux cartes, gagner, perdre. Il aimait marcher dans les forêts, chasser avec ses copains. Il se sait condamner, cancer invasif. Pour son enterrement, il a tout prévu. Il ne voulait pas de cérémonie religieuse. Devant les pleurs de son épouse, il a cédé. Les femmes du village pourront le pleurer dans l’église sous la houlette du curé. Serrées autour de son cercueil. Pour ses amis, pour les hommes, un tonneau de vin sera mis en perce à l’ombre des platanes. Que la fête continue !
… la foi de charbonnier de Raymonde, la réussite sociale de la Belle Hélène, la vindicte du perroquet,, Memette et ses folies, les silences – le droit du père… quelle brochette, plus qu’un portrait, ce sont de micro-vies que l’on voit défiler là, Christiane !