Adolescente dans l’Yonne, rêveuse sur mon vélo, espérant voir arriver L., debout sur les pédales, “en danseuse”, en zigzaguant, en chantonnant : « Toi, toi mon toit/ Toi, toi mon tout mon roi/ Prends un petit poisson/ Glisse-le entre mes jambes… », j’arrive essoufflée, 40 ans plus tard à l’entrée de la chapelle du château de Fontainebleau, une porte monumentale, en bois sculpté, marron foncé, en relief, des têtes d’hommes barbus, chevelus, bouches ouvertes, sourires grimaçants, visages déformés, expressions figées; je la pousse, j’entre dans une chambre exiguë: neuf mètres carré, la pièce est rectangulaire, sur le mur de droite un lit d’une place, sur le mur du fond un vasistas avec en dessous une table et une chaise, sur le mur de gauche un évier-lavabo je me lave les mains, je ressors, l’odeur de café, de cannelle et de pied m’accompagne jusque dans les Balkans, le long de la mer Adriatique, chez cette famille modeste de Dalmatie, où aujourd’hui 22 décembre 244, vient de naître Dioclétien, de son nom complet Caius Aurelius Valerius Diocletianus Augustus, je me penche sur le berceau de fortune, j’embrasse l’heureuse maman et ressors délicatement, dehors Catherine m’attend, elle est venue me chercher, elle me raccompagne à Belleville, elle pointe du doigt une voiture et me dit voilà c’est la blanche, sans sortir de clé de sa poche, les portes s’ouvrent toutes seules, je m’étonne, -« Bah oui aujourd’hui c’est comme ça, les voitures neuves s’ouvrent en détectant simplement le bip dans le sac ou dans la poche. -Ah bon? Ça alors? » Et je me prends à imaginer que bientôt, si ça se trouve, il n’y aura même plus de porte. Nous arrivons à temps pour notre entrée en scène du début de l’acte II, nous poussons la porte du décor, nous sommes en Touraine, à la Membrol, au château du Grêlé, elle est la Duchesse, je suis la Vidauban et c’est la fête. En ressortant par cette même porte qui ne mène nulle part, enfin seulement en coulisse, je longe le couloir étroit éclairé par une lampe bleue, j’arrive rue de l’église, chez R, il n’est pas là mais la porte est ouverte, il ne la ferme jamais à clé, jamais, depuis qu’il a été enfermé 17 ans en prison en Pologne, il est incapable de fermer sa porte à clé, incapable. Je m’assois dans son fauteuil bleu, je m’assoupis et me réveille le 2 novembre 1875, sur la côte ouest des États-Unis, un cowboy ouvre avec fracas, d’un coup de pied et d’un coup d’épaule, la porte du saloon à 2 battants, arrivé au comptoir il hurle : Barman !!! Une bière et un Whisky !!! J’en profite pour me carapater par la petite porte de derrière. Je cours à perdre haleine à travers le village désert, fantomatique, quelques hennissements au loin, une détonation de revolver, mes oreilles bourdonnent, mon cœur bat la chamade, je cours toujours plus vite, j’aperçois une porte entrouverte, je m’y engouffre, je monte l’escalier, arrivée au 1er étage, je reprends mon souffle, je regarde autour de moi, je reconnais le palier feutré (moquette épaisse), sombre (sans fenêtre), spacieux (9m2), de l’immeuble Haussmannien où j’ai passé mon enfance, deux portes fermées se font face, au seuil de chacune d’elles, deux paillassons (propres et classes). Je suis rassurée, je rentre par la porte de gauche, je traverse l’appartement endormi, j’arrive dans la salle de bain, mon père se détend dans un bain chaud, je passe derrière la baignoire, discrètement j’ouvre le vasistas, je me hisse et je sors sans avoir rien vu. Je marche sur les toits en faisant attention puis je m’assois et regarde la ville assoupie. En face, le café chez
Saïd, à sa droite la porte d’un vieil immeuble légèrement en retrait, les uns après les autres les hommes sortent du café et viennent pisser à discrétion dans ce recoin idéal.
Merveilleux plan séquence ! Merci Cécile
Merci à toi Nathalie, suis touchée