Bon sang ! Tout ce bordel qu’il a gardé au sous-sol entre ces murs et ces portes cadenassées… D’où lui est venue cette manie d’empêcher l’accès. Tu sais, toi ? Il a toujours aimé les clés, les serrures, les targettes… les vieilles clés surtout pour leur solidité et leur élégance. Il en achetait même dans les brocantes. Il avait toujours de l’anti-rouille à portée de main, des pipettes et des petits flacons d’huile de graissage. Il les alignait dans des placards métalliques ou des litanies d’étagères en bois ,obsessionnellement rangés. Même sur la table de la salle à manger il rangeait avec la pulpe des doigts les miettes de pain, et il parlait, il parlait … puis les bouts de cigarillos éteints, Il déplacait les verres et les bouteilles en cherchant ses mots, les assenant comme un savant sûr de sa science et de son expérience. Les mômes riaient sous cape, complices de la subversion maternelle au sourire discret, il ne les voyaient plus, il les instruisait. Ses discours pouvaient être interminables, ses silences aussi en contraste, surtout à la fin de sa vie. Un homme contemplatif et actif alternativement, comme partagé entre ces deux extrêmes, très fier d’avoir fait des études dans un lycée agricole pendant la guerre pour pouvoir mieux manger. Orphelin de mère dès 38, des frangins dispersés par un père représentant en dessous féminins dans toute la France, puis assigné à résidence au milieu de vignobles par la ligne de démarcation. La catastrophe.Changement de vie. La maison du Mont Joli est devenue un mausolée du malheur. Les portes de la partie inférieure de la maison en rez-de-jardin, à l’opposé du cuvage ont été condamnées. Les pièces vidées à l’exception du piano noir.