Elle s’affaire dans la cuisine. Tout est prêt. Le ragout sent bon le paprika. Les gâteaux roulés au pavot et aux noix sont présentés sur un plateau attendant le goûter. C’était ce que sa fille préférait manger quand elles vivaient encore ensemble.
Elle ouvre la porte de la chambre, les lits sont faits, couettes bien gonflées, oreillers plumes, literie gaie aux odeurs fleuries, tout est en ordre, elle est tellement heureuse de revoir sa fille avec ses enfants. Cela fait longtemps que son aînée est partie loin, sans trop d’explications, la mère n’a jamais compris, elles étaient pourtant bien ensemble, elle avait toujours fait ce qu’il fallait, elle voulait une famille à aimer, avec le père ils étaient d’accord, aux petits soins, la famille avant tout, trois enfants à aimer, à élever, des vies à organiser…
Pour ses enfants, elle avait été la mère qu’elle aurait aimé avoir, elle avait créé une famille, une bulle, un cocon, elle savait ce qu’il leur fallait, comment il fallait vivre, elle qui n’avait pas eu de mère pour lui apprendre, toute une enfance sans sa mère morte en couches avec le dernier bébé mort aussi, elle n’avait manqué de rien sauf de sa mère, on ne pensait pas que c’était aussi important, la vie continuait, on faisait avec ou sans…
Elle ne savait pas que la bulle, le cocon, ça pouvait peser, enfermer, qu’on pouvait avoir envie de s’enfuir pour vivre sa vie, une vie personnelle avec ses erreurs, mais avec ses choix, ses désirs, que son aînée, malgré l’amour, malgré toutes ces bonnes intentions, n’en pouvait plus, étouffait, ne fais pas ci, fais plutôt ça, c’est juste un conseil, mais en fait, c’est la meilleure chose à faire, fais-moi confiance…
La fille avait fait confiance, longtemps, toute son enfance choyée, mais un jour, elle s’était réveillée, rebellée, contre le père qui savait tout, qui avait toujours raison, contre sa mère qui aimait et gérait et d’un regard dirigeait son monde à la maison, elle avait grandi, fait des projets, donné son avis, était partie en voyage, puis partie pour de bon, longtemps, pour aller vivre au loin.
Et la mère était restée à gérer le cocon, à raisonner contre le destin, à retourner les questions dans sa tête, à attendre des nouvelles bonnes ou mauvaises, à regretter l’entêtement de sa fille, son caractère compliqué, à rêver à des retrouvailles…elle attend le coup de fil, la sonnette, j’arrive, je reviens….
La fille s’arrête devant le portail, un moment d’hésitation, un flash de souvenirs, puis elle s’accroche aux mains de ses petites filles, allez, on y va, on nous attend, appuie sur la sonnette !