les petits temples dans les champs, les statues bariolées, ou rongées par la lèpre du temps, les trainées de cire rouge, les traces de sang, les plumes, les cendres, la poussière, et parfois des traces d’une visite récente, odeur sucrée, sure de l’alcool de riz
l’été de la canicule parmi les canards du Pradeau, leur désarroi, leur crâne et leur dos pelés, leur désapprobation certaine et l’étrange rite cannibale qui les pousse à se dévorer mutuellement le croupion
les noirs d’Odilon Redon, leur maladresse presque saugrenue et certainement dérangeante, le ciel des étourneaux, les rivières de décembre
les grands illustrés de la bibliothèque aux portes grillagées du second
teuf, teuf, teuf, les bateaux qui avancent entre les rives hautes, les ribambelles hybrides sous le ciel blanc, buffles, palanches, chapeaux, vélos, la vie là-haut
les mèches de cheveux échangées, gardées, signets
l’incendie
les touches argentées du magnétophone posé sur la table basse du salon, record, lecture, rewind, un piano de voix entre dans la boîte noire, s’imprime sur la bande grise qui s’enroule sur les roues dentelées, isabelle maman mamie papa apée mamieapée
elle marche toujours devant
la cage d’escalier de la Renardière, après le virage à l’angle de la barre, vent fort à très fort qui force à plier le corps, après la gueule carrée du porche tenu par des caryatides désabusées, bonjour madame, l’ascenseur qui soupire, l’escalier de nougat mais qui sent la pisse et d’autres choses qu’on ne sait pas, des coulures, des traces sur le mur jaune, des bites chattes aux lettres cassées
les livres les livres les livres les livres les livres les livres partout tout le temps la géographie blanche et la vie de papier, bassins versants, confluences
les sons étouffés dans le poudroiement d’un matin pékinois.
le mort de Bretagne, les crapauds, la voix de la radio qui marche sur la lune, les minuscules crabes qui courent dans les flaques de mer, les épaules qui pèlent, le bruit du ressac, jour nuit jour
le coup de téléphone qui entre dans l’espace pour annoncer la mort d’un.e proche avec une voix inconnue, désincarnée, sans timbre, qui use des mots de circonstance, une voix qui n’a pas de bras où se réfugier, et pleurer, pleurer pleurer sans fin
Hélène, sa place est vide dans la classe, elle est marquée absente sur le cahier d’appel, plusieurs semaines, on ne sait pas, sa place brille avec les beaux jours, l’été qui approche, les grandes vacances, quand elle revient, elle marche avec une jambe rouge sous sa blouse, la maîtresse dit bassine confiture brûlure
les cheveux qui s’en vont
la fée d’hiver, ses yeux, ses seins, la neige
le corso fleuri, la procession, le papier crépon, les demoiselles d’honneur, les tableaux vivants, les manèges, les auto tamponneuses, les amoureux
le crachin de Limoges à l’heure de la cantine, entre midi et deux, la veste d’une autre époque qui sent la pluie, l’adolescence, les cigarettes au Consulat, la lucarne au-dessus de la buée des vitrines, le visage de Jacques Brel, il est mort
les slows, danses de lits à deux debout, enfouis l’un dans l’autre, Hotel California, le concert de Cologne, le cou, les cheveux, les mains, la langue
clac clac clac, les sabots suédois dans les escaliers du lycée aux interclasses et à la récré, les sabots en vacances sur les rochers coupants qui fendent la peau comme des couteaux, le sang, l’amoureux qui suit du doigt la trace, l’écriture de la blessure
le chien sans vie, le temple de Delphes
les demoiselles de Rochefort, les jupes et les bérets, deux sœurs, des amoureux, les déménageurs, Deneuve, Dorléac, la femme coupée en morceaux
la rue Jean-Jacques Rousseau et la rue Jean-Jacques Rousseau
la dinde de Noël
le petit vermicelle
le livre ouvert, caché sous la table
les yeux noirs, les cheveux noirs, les garçons filles, gracieux, polis, timides, pénétrant mot à mot nos langues lycéennes, enfants du peuple des bateaux débarqués de conflits lointains qu’on ne connaît pas trop
un matin d’hiver, la glace dans les bassins de Versailles
le chat couché dans la terre, les reliques
les films de Raoul Ruiz, Le mystère Picasso et Querelle de Brest dans un cinéma du côté de l’école de médecine
la vallée de Swat, les statues de schiste vert du musée de Peshawar, les façades en bois de son bazar, les étoiles de l’Hindou Koush
les lentilles de contact qui sautent des yeux comme des écailles n’importe où, inopinément, qui capturent la poussière, la glissent sous la peau des paupières comme du papier de verre, douleur des jambes de sirène
la couleuvre jaune et verte
la petite fille aux boucles noires autour d’un visage de tableau d’église, le dimanche, sur le chemin de Sainte-Bernadette et les lapins sans yeux qui rigolent au cimetière de Louyat
le jour sans la nuit d’un ultime voyage
les genoux couronnés, le mercurochrome, la cour de récré, les collants déchirés, le facteur n’est pas passé
l’épitaphe de la jeune morte dans le petit cimetière que les arbres mangent
les marionnettes
le ruban du petit cirque
les nuits dans le bruit de la mer et les parfums de juillet
les souliers abandonnés sur l’appui de la fenêtre de l’hôtel
où s’arrêter
nos voix
la vague
vos lèvres sur ma bouche
notre silence dans la pagode des parfums
les cendres
Merci pour ces bouts de vies en accumulations d’images, et pour ces rythmes qui se brisent d’un coup, sur un incdendie
Merci d’avoir déroulé mes lanières de papier. C’était grisant de les écrire pour pouvoir les déposer sur le seuil de l’an neuf.
cendres poussière Noir Redon une jambe rouge ou le crachin de Limoges. et l’alternance des phrases longues/brèves leur rythme ( le clac clac clac des sabots) 48 cendres de lumière. Merci
Merci Nathalie pour avoir donné la sonorité et le rythme à mes cendres..