en bordure de la ville, gros points d’interrogation peints en rouge sur bouts de murs blancs
un hippopotame regarde les visiteurs de la ménagerie du cirque qui l’emploie depuis l’eau douteuse de la cage où il croupit
dans le métro une jeune en survêtement pastel aborde les passagers, son regard vide
dans la chambre du service psy une balafre sur la tapisserie orangée à environ trois mètres du sol
au comptoir de la médiathèque un homme âgé dont les vêtements et la crasse lui font comme une carapace rend deux livres très détériorés, le visage de l’employée
Agnès Varda devant le tableau « Sono stata io*. Diario 1900-1999 » de Daniela Comani au MAMBO
l’ombre maudite et défendue du vieux noyer
longtemps, Ray Bradburry enfant regarde les couvertures derrière la vitrine du libraire
un petit homme court pour rattraper un tramway jaune dans une rue en pente de Lisbonne
une femme au regard fixe remonte une rue en forte pente et traîne derrière elle deux grands sacs plein de provisions
dans sa chambre d’hôpital un homme mange une tranche de jambon blanc en regardant un concours culinaire à la télé
un jeune policier municipal éloigne les curieux qui s’approchent du cachalot en décomposition sur la plage
le visage ensanglanté d’une femme rousse à lunettes sortant d’un fossé en bordure de la lande du Dartmoor
dans un village en ruine des Balkans une vieille femme chasse à coups de pierres un enfant effrayé tout juste sorti de la forêt
le regard de la serveuse aux yeux sombres dans le bar de Valparaiso
dans la lumière du matin, entre les deux paliers, un pendu avec une valise à ses pieds
à Berlin, au musée d’histoire de l’Allemagne, un homme barbu d’une cinquantaine d’années devant la maquette reconstituant une des chambres à gaz de Birkenau, il pleure
une fille de dos, cheveux longs sombres, parka vert armée, Doc Martens noires, devant les bacs du rayon rock indé à la Fnac
Mark Baumer marche au bord de la nuit
la seule fenêtre encore éclairée parmi toutes les barres d’immeubles
draps rouges froissés sur lit devant fenêtre ouverte sur le matin des grands bois
des mots noirs contre elle dégoulinent sur les murs de la cité
une femme hurlante au milieu de la foule
tôt le matin sur la plage un retraité fait des assouplissements avec, à cinq mètres de lui, un jeune allongé en plein soleil, inanimé et visage tuméfié
la carcasse rouillée d’un vieux Tube Citroën à l’orée des grands bois
un vieux buffet marron avec son alignement de bocaux de haricots verts
un cadavre d’enfant calciné devant l’église en ruine d’Oradour-sur-Glane
une adolescente achète chez un brocanteur un lot d’enfants sépia
un vieil homme voûté promène au bout d’une longue chaîne un vieux bâtard pelé
un malade, à la même heure, chaque jour, le même parcours dans l’hôpital
dans le Montana, deux petites silhouettes dans le crépuscule, une femme et un gosse main dans la main
à New-York, un homme avec un tout petit sac de voyage monte à bord d’un Greyhound à destination de Seattle
un amas de nuages très noirs au-dessus des grands bois, sur le volcan
une prairie ondulant sous la bise, taches jaunes, violettes, vert foncé et puis un grand bois de sapins sombres
avant l’aube, un homme sur le seuil du vieux refuge face au glacier
depuis une rame de métro, les briques rouges de l’institut médico-légal quai de la Rapée
dans un caniveau un petit personnage en plastique, ses cheveux ratatinés par la chaleur qui les as consumés
une caravane abandonnée et ouverte à tous les vents au milieu d’un grand pré
un ours en peluche pend au bout d’une corde
crapauds écrasés sur la route du printemps
au portemanteau, son chapeau prend lentement poussière
une statuette au marché aux puces
une BMW éventrée par les balles
dans un musée un sac de couchage, c’est un bronze
trois gros galets dans une vieille valise
une sorcière qui s’est scratchée avec son balai
un enfant chasse un moineau pour un grain de riz boueux
enfant tête pastèque devant le VAB
grosse mouche velue autour de l’ampoule en hiver
dans le soir, les chauves-souris remplacent les oiseaux
un petit chat claudique vers les poubelles du centre de rééducation
un adolescent s’attable au Cabaret Vert
des enfants Roms tournent autour du manège
un obèse et son fils achètent des nems surgelés et des bières chinoises
trois gosses, visages marqués, inquiets, habits du dimanche, sabots, bouts de foulards en grosse laine pour elles, chapeau de paille pour lui avec, derrière eux, leur troupeau et comme une tortue qui passe, un petit volcan
un petit homme émerge du brouillard
des bouteilles de bourbon vides sur la tombe de William Faulkner
dans la clairière au bout du chemin, une boîte de Xanax, des préservatifs usagés
un enfant dispose des animaux en plastiques en cercle parfait autour d’une mare de lune
Denis Roche photographie l’ombre d’une langouste
un harfang éventre et dévore un engoulevent
Nick Cave descend en boucle Jubilee Street
Alep, lumière pâle de la tempête de sable qui arrive au fond de la rue, deux petits gosses près de la carcasse rouillée, explosée d’un bus
un petit carnet noir corné, l’écriture illisible au crayon gris
une fissure dans le manteau en marbre de la vieille cheminée parfaitement comblée par un mastic crème, doux, mat et lisse
entre la gare des bus et celle des trains un homme, assez maigre, pieds nus, brun à moustache, souriant, ramasse un mégot
des lèvres barbouillées de cerise
la nuit derrière la fenêtre, le bouclier d’Orion
Codicille : écrire au présent ces instants qu’on aurait voulu photographier ou ceux dont on a perdu la photo. Elles accompagnent ces images. Certaines en noir et blanc, d’autres en couleurs. Embrayages à fictions ? Photographier sans appareil, plus discret avec les mots. Les articles indéfinis pour moins de rupture que les démonstratifs.
* Désolé pour ce « je »
Merci pour ce texte qui embarque, sans protocole défini de construction des phrases, voyage en image universelles ou tellement particulières,à la lecture m’a rappelé l’Aleph de Borges.