Ielle était une fois. Je suis grande à présent. Adulte, ils disent tous. Tous, sauf lui qui a passé sa vie à raconter des histoires qui commençaient toujours au masculin. Il était une fois par ci. Il était une fois par là. Jamais vraiment avec moi. Jamais pour moi, son garçon manqué. Bien sûr que j’existe pour lui quand il se souvient qu’il m’a oublié, quand il s’excuse d’être absent, quand il évite de savoir comment je m’en sort. Pas envie de voir qu’il a vieilli. Pas envie de le voir faire le beau avec sa pouf. Pas envie de le voir faire semblant. C’était l’occasion ? Ton passage pour affaire. Non, j’irai pas à ton rendez-vous. Je ne t’oublie pas. Je t’ignore.
Me prend la tête ce jeu. Et en plus c’est pas vraiment un jeu. Virtuel, oui. Avec le casque, oui, ça immerge bien. Mais c’est pas ça que je cherchais. M’en fous de Lady Sapiens.Très peu pour moi la paléo-femen. Moi, c’est survivre d’abord. Ancestors, je préfère. Et Far Cry Primal surtout avec leur langue bizarre qu’on comprend rien: Majish warshta mamaf padiyi. U kwati salka… daysh. Aysh hars waydata… tushi gwash. J’aime trop le Takkar. Un selfie avec lui. Il est trop. Je me vois dans la glace, je me vois dans le smartphone. Ce qu’il y a de Lucy en moi, je ne le sais même pas.
Je ne suis pas une fille timide. Je suis, je suis moi. La tête en arrière, les yeux fermés, dans la musique. Je me souviens du merveilleux cadeau, l’affiche géante. Monte Carlo et Paris, Genève aussi.La musique, la musique seule.
Qu’il est froid ce banc de pierre. Je vais leur dire, moi, ma parole de veuve. Elles savent bien, elles ont vécu pareil que moi. Seule, oui. Depuis trois ans maintenant, jour pour jour. Plus obligée de faire chaque jour une sauce de tomates. J’ai compté : 1095 sauces en moins. Elles vont rire. Après nous irons cueillir des mûres comme on avait dit, pour la confiture. Et ramasser les noix aussi, pour faire le vin.
Inquiétant et doux, le sable. Elle me l’avait dit, ce possible pour les corps de se coucher, cet accueil doux. Elle m’avait dit aussi, le noir inquiétant. Je n’avais pas compris. Ce n’est qu’à présent. Elle m’avait prévenue. L’ensevelissement, les corps portés en terre, le danger, la mort. J’y suis maintenant. Je les vois, ces putains d’urubus qui viennent tuer mes enfants, se nourrir de mes œufs. Elle me l’avait dit : le sable, doux et inquiétant.
« …quand il se souvient qu’il m’a oublié…J’ai compté : 1095 sauces en moins…Elle m’avait dit aussi, le noir inquiétant …. »
cinq monologues intérieurs en pièces détachées sans mode d’emploi avec personnages absents ça fait tout même des histoires à s’inventer