elle s’était ainsi dirigée vers ce petit théâtre miniature semblait-il dès le second ou troisième village traversé soit vers ces présences sculptures en ronde bosse récurrentes prenant forme sur la porte du train à partir des voix du compartiment couloir de son wagon qui maintenant la faisaient se déplacer au son d’un spectacle au-dessus duquel flottait le mobile légèrement fluctuant dans un souffle de vent odorant de laurier et de terre mouillée même un peu pourrie sorti du ventre de la nuit
et dont le décor semblait être un vieux baldaquin garni de drapés d’un tissu épais rappelant celui au XVe siècle peint par Piero de la Francesca sur cette colline toscane regorgeant d’anciens rites païens liés à la fertilité qui auraient été porteurs des traits plus tardifs d’une madone femme-orchestre et protectrice au ventre rond Ce baldaquin en fait abritait aussi une cavité construite dans la roche- sorte ici de carton-pâte dans des nuances foncées et claires- ; un ruban jaune de désert – en toute probabilité découpé dans du papier d’emballage – ; ce qui ressemblait fort à un gibet – laissant entrevoir deux silhouettes se balançant dans le vent soit des sortes de jetons souples noirs rouges et blancs- ; de petites constructions disséminées éparses – en toute apparence des boites d’allumettes ; un lac – soit une feuille de papier vert d’eau- ; et de minuscules sujets – simples bâtonnets en cire et en argile – éparpillés dans ce désert bruissant et presque caressant
de sorte qu’elle s’était dans un premier temps demandé si la scène allait réellement s’animer (…)
c’est en prêtant l’oreille qu’elle avait aussi pu constater la mise en place simultanée d’un dispositif d’éclairage (…)
alors que de petits cornets de papier translucides d’ arancine s’ étaient froissés dans l’espace en forme de tiroir ou plutôt de mini-vidoir sous les vitres ; presque grésillaient encore ; et qu’ après la rapide absorption de ces boulettes de riz parfumé le monsieur au chapeau mou s’était essuyé la bouche du revers de la main ; des enfants avaient été brusquement réprimandés pour les avoir fait, eux, tomber par terre ; aussi en raison de leurs pieds chaussés et négligemment repliés sous leurs petits corps assis sur la banquette de velours souple ; leur mère s’était montrée un peu brutale ; une tape sèche sur le sommet du crâne avait fait se redresser en masse leurs cheveux fins comme suite à une secousse électromagnétique ; elle, elle en face d’eux qui s’était réveillée, n’avait pas pu s’empêcher de rire ; les enfants, doublement surpris, n’ avaient pas pu comprendre
un faisceau de lumière forte éclaire à présent une madone au centre du baldaquin au point de la faire apparaitre irréellement blanche également illumine le lac et sa représentation de feuille de papier de soie vert d’eau sans oublier la cavité sous la roche L’on s’éclaircit la voix La voix au début est entrecoupée :
Ils sont souvent là et — me convertir ! Je — observe tous — sont avec attention mais je sais — à la fin du discours — partir les quitter sans — de raison sans parler ma solitude —- ce savoir faire des choses du monde j’écoute parce que— sans me distraire mais — encore mon lac et — soleil aux comités autour du sort de l’Espagne de la garde catalane et de l’Inquisition qui tait ce qui se passe dans les montagnes dans l’espoir de mieux arriver à ses fins sur le terrain Les grottes sous l’eau me fascinent qui — des passages communicants entre elles sortes de galeries clandestines par où — moments tandis qu’en surface —simples embarcations et— fends l’eau — couteau comme — par un souffle — propre aux — l’Asie J’aime son bruit— le déchirement d’une gaze — le matin En surface — sur les rochers et aux arbres je sais nager— indigène d’Amérique — ma volonté est celle de l’animal du chien du loup ou du poulpe qui respectivement court mord (une couverture) ou étend ses bras quand il en sent le besoin parce que son corps sans penser le lui demande ; je ne sais pas autre chose ; j’ai aussi en mémoire ces mouvements des très petits enfants dont un que j’ai eu moi-même avec un maure ; ( je ne suis pas una nina de l’entourage de Velasquez – que par ailleurs je côtoie dans ce livre Le manuscrit trouvé à Saragosse) ; les intérieurs de la terre parsemés d’ écritures que je frôle en nageant que je crois déchiffrer me ramène à une unité Autour de moi les présences de la nature sollicitent mon ouïe sensible qui perçoit les sons dans les intervalles même ceux des cris d’animaux parfois semblant -ces intervalles- amplifiés on dirait des pleurs ou des plaintes qui résonnent bien après que le silence a repris le dessus font ouvrir ma bouche de façon à en sortir à moins que ce ne soient eux qui m’imitent ou imitent d’autres bruits plus lointains -dans l’espace, le temps- pareillement aux déplacements des rêves et des rêveurs dans l’univers de certains écrivains Je voue un culte au soleil à son oreille ronde surplombant mon labyrinthe et mes mains prennent souvent sans que je m’en aperçoive cette position des doigts en V renversé des figures féminines que l’on voit dans les tableaux du Titien ou de Palme l’Ancien si remplis parfois du monde secret païen (là où ces femmes sont allongées sur des divans ou tiennent sur leurs poitrines les longues tresses de leurs cheveux mêlés à des fleurs) ; je tiens ce rapprochement de l’un de mes amoureux qui avait une certaine prédilection (sans rapport) pour les femmes du Maroc ; (….)
peu après l’éclairage change et la madone s’obscurcit devient presque noire sous des paillettes aériennes semble-t-il légères colorées le décor s’organise autrement puisque le ruban de désert jaune apparait ainsi que les petits sujets soit ces bâtonnets de cire et d’argile Elle continue de dormir assez séduite par le monologue de la jeune O.
tandis que la madone plus foncée s’éclaircit la voix La voix est ici également entrecoupée au début :
j’ai — charmée — souviens par mon voyage — le désert — mes éléphants chargés de pierres d’aromates d’encens et d’énigme et sur eux mes compagnons éthiopiens — de cuivre qui — un jour de la lignée des juifs falashas ancêtres de Hailé Sélassié — avec Salomon/Soliman à Jérusalem moi — lointaine d’Arabie qui adorait le soleil à la place de Yahweh qui — reine en ces terres (ces terres arides transformées en terres fertiles par mes ancêtres les sabéens ) Grace à l’intermédiaire de ma huppe née sous le signe du feu une rencontre avec le fils de David et son célèbre architecte avait permis mon entrée au temple de Jérusalem et je suis encore troublée par l’effet qu’avaient sur moi les paroles D’adoniram le sculpteur retraçant ses travaux et leurs progrès soit la naissance de constructions empreintes du travail de la pierre et des métaux mêlé à la lave incandescente des volcans là où le coulage des alliages prend tout son relief la nuit quand celle-ci exacerbe rougeur et blancheur et qu’ailleurs le sable les silices recouvrent des débris féconds luisants même anciens ou s’expriment de vieux monstres et les beautés d’un art primitif enseveli dont il aurait été possible de retrouver le visage la vigueur à travers le cheminement non seulement de l’imagination mais aussi celui de fourmis abeilles assidues ébaucheuses de ces plus tardives constructions que je prenais moi qui écoutais toujours en court de route au milieu d’autres regards comme j’aurais pris bien plus tard et même au hasard avec autant d’attention et de gratitude des passages des livres anciens
Si un magicien se proposait pour me transformer en animale, je le supplierais de choisir le poulpe. Il me fascine avec ses bras indépendants. Je trouve que vous écrivez comme ça, comme bouge le poulpe « parce que votre corps sans penser vous le demande ». les phrases paraissent dotées chacune d’un cerveau différent, envoyant dans toutes les directions des images, des langues étrangères, des villes lointaines, des tableaux… et bien d’autres choses. Avec une liberté qui déconcerte et enchante.
Très touchée par votre commentaire….Merci Bizaz, il me fait l’effet d’ une bien jolie couverture qui tient chaud et qui brille- comme celle de votre texte!-…A bientot!…Amitiés