probablement un jour de semaine, une lumière assez douce qui glisse entre les pommiers et pénètre la cuisine par la porte-fenêtre au rideau repoussé, une heure parfaite pour les travaux de couture / elle est en train – enfants à l’école sans doute –, coupon de tissu déployé autour d’elle si bien qu’on ne distingue pas le tissu de la robe qu’elle porte du tissu déroulé pour la coupe, plis dégringolés amoncelés avec juxtaposition des motifs, mélange soyeux de fleurs et de rayures dans les nuances de bleu – elle doit aimer le bleu –, quelques pointes pastel pareilles à des cœurs de pivoine bien reconnaissables dans l’accumulation des matières comparativement à d’autres motifs plus discrets / elle donc immergée dans la cascade d’étoffes moelleuses, sa silhouette nimbée car opposée à la lumière si bien qu’on ne distingue pas ses traits, rien que la souplesse de la chevelure claire dévalant sur les épaules et venant se couler sur le corsage smocké de sa robe et manches blousantes sur le haut du bras – on remarque les pinces finement réalisées pour donner de l’arrondi, les deux petits boutons de nacre pour fermer l’échancrure dans le cou –, se confondant même, long ruban dénoué dans le dos remuant au hasard des mouvements de buste et se déposant furtivement ci et là au milieu des pliures et plissements d’étoffe, comme une construction éphémère autour d’elle, un cocon aérien aux couleurs douces qui lui va bien / taille avec ciseaux affutés, assemblage, faufilages, piqûres et surpiqûres, ourlets délicats à construire avec ce genre de tissu un peu glissant / quelques heures devant elle, heureuses dans l’ébauche de ce nouveau vêtement, une toilette légère pour les fêtes de printemps, plus tard utiliser les chutes pour deux petites robes mignonnes pour les filles avec col rond et taille dans le biais pour le plastron (l’une de ces robes ne sera que peu portée, choisie pour le dernier séjour dans la boîte en chêne blanc) / elle noyée dans la lumière dorée de quatre heures, elle avec ses gestes de plus en plus lents au sein des étoffes comme brassant des flocons / évanescente / on ne voit pas son visage, on entend les froissements d’étoffe qui ne ressemblent à rien d’autre qu’à des froissements d’étoffe, battement de l’horloge, souffle quasi imperceptible
Codicille : tout de même l'impression d'être passée à côté de la proposition, de ne pas avoir visé l'abstraction Gertrude Stein... suis restée sur la notion de silhouette et ai cherché la continuité avec les espaces intérieurs des textes précédents
j’aime les pointes pastel pareilles à des coeurs de pivoine, j’aime la ponctuation, je ne sais pas commenter
Contente de vous retrouver là, comme veillant derrière le rideau… vous, toujours au front de l’écriture et de la lecture…
je me suis laissée allée à une ponctuation comme elle me venait, pas chercher à la modifier ensuite…
toujours dans ce même espace
A vous retrouver vite…
Il est magnifique ce personnage né de la lumière qui l’entoure et de la délicatesse des étoffes d’où il émerge. Elle est là la littérature, figeant pour toujours ces instants rares. Merci, Françoise !
chouette ton écho, chère Helena
j’ai essayé de rester dans le même cocon, le même espace cuisine, pour avoir du suivi dans mes explorations et dans les différentes propositions pour ce volet Autobiographies…
et je me suis souvenue de ma mère en couture, d’ailleurs elle avait failli être couturière, initiée par sa marraine comme dans les contes… finalement s’était tournée vers les enfants pour enseigner…
je la revois, je l’entoure, je décris le tableau…
merci pour ton passage si doux…
comme tout cela est délicat, sensuel, reposant, lumineux… et puis …la boite en chêne blanc
Merci Catherine, merci pour votre passage par cette cuisine…
Votre remarque vient souligner encore davantage mon souvenir de cet espace si paisible en ces heures de couture avec le soleil venant par le jardin, les épingles coincées entre les lèvres de sa bouche…
… mouvements d’étoffes, de la silhouette, le regard qui se promène, la multiplicité et la minutie des tâches accomplies/à accomplir, le silence et néanmoins le plaisir éprouvé qui se devine aux projets défilant dans la tête, la cascade d’étoffes moelleuses, la chevelure souple dévalant, la silhouette imaginée sous l’étoffe aux coeurs de pivoine se confondant avec celle à la tâche… .elle donne vraiment envie de peindre cette scène entre mouvements infimes et bruissements d’étoffes !
ton écho qui me donne à voir encore ce que j’ai voulu décrire… et puis rester toujours dans la même trame pour creuser le sillon davantage, inventer d’autres scènes reliées à cette cuisine de cette maison-là
merci infiniment pour ton passage
Tendresse. Finesse.
un petit bonheur de découvrir votre commentaire…
merci Catherine…
Très novateur ton approche et je n’ai pas écouté la prop de François. Adoré ce personnage entouré de tissu foisonnant et dont on ne relève que ce qu’on ne distingue pas. Ça fonctionne magnifiquement. J’ai pu substituer le personnage de ma propre grand-mère et toi tu as une connaissance de la couture, des gestes, des termes pour créer la scène. Top. Merci.
Ton retour précis me guide.
Juste des images qui reviennent (mémoire lacunaire dont parle souvent François) au fil de ces Autobiographies, alors s’en emparer, les développer,les creuser, les sublimer…
d’ailleurs je vais continuer sur la couture pour la proposition suivante (écriture en cours…)