1937
Elle se rassoit. Elle dispose d’un peu de temps, là, entre deux. Elle s’assoit sur le lit. Elle pense foutu lit. Elle pense un lit à soi. Elle remonte ses bas. Elle ouvre le tiroir. Elle est déjà en retard. Elle prend l’allumette au fond de la petite boite. Elle allume sa cigarette. Elle fume lentement. Elle regarde la fumée qui remonte vers le plafond. Elle ne pense pas. Elle finit par penser. Elle pense au type derrière la porte. Elle imagine qu’il dira j’aurais droit de la voir danser gratis. Elle avait dit ça, une fois. Elle l’avait dit mais il n’avait pas bougé. Elle voit déjà les pieds qui sont restés là, droit, qui font une ombre sous la porte. Elle imagine que les murs sont loin, qu’il a dû marcher cent fois pour relier les uns, fuir les autres. Elle sait que la porte de la chambre est fermée. Elle dans un décor en papier mâché. Elle sait. Elle lui avait dit ça. Elle avait oublié mais il dira, elle le sait, il dira j’aurais le droit de venir la voir danser. Elle est nue. Elle derrière une porte qu’il faut pousser pour regarder. Elle et déjà le contact des mains sur elle. Elle et les mains mouillées du gars. Elle et tout le reste, mouillé le cou et l’entre jambe aussi. Elle peut l’imaginer déjà. Elle met ses cheveux. Elle choisit ceux qui sont gris. Elle, ses cheveux et la pesanteur moite de l’autre qui dehors attend. Elle et le col de la chemise qui gratte patiemment. Elle et les pieds collés au parquet gentiment. Elle dans le silence pas de bruit ici, que des bruits de filles qui respirent derrière des portes toujours fermées. Elles, derrière des portes que des types n’arrivent pas à ouvrir, peu importe la journée. Elle termine la cigarette. Elle continue de respirer. Elle est prête.
2018
Elle ne dort pas. Elle ne peut pas dormir dans cet endroit. Elle est dans la chambre du fond, celle dont le couloir est une verrière. Elle meurt de chaud l’été. Elle se pèle le cul l’hiver. Elle quand il pleut, impossible de dormir dans le vacarme de l’eau sur les vitres. Elle a envie d’une cigarette. Elle se retient. Elle sait que la fumée va s’échapper sous la porte et qu’il va la sentir. Elle connait trop ces lieux, à l’autre bout du couloir on sent quand une cigarette est allumée. Elle sait déjà, qu’à la première bouffée, le mec va débarquer et que ça va faire tout un tas de problème. Elle n’a pas envie de faire des problèmes, dans un premier temps. Elle ne l’aime pas ce type là en plus. Elle imagine déjà qu’il va débarquer et lui dire d’éteindre, avec ce zozotement dans la voix. Elle sait qu’il ne comprend pas, qu’il est de ceux qui ne parlemente pas. Elle sait que vite, il va se mettre à gueuler. Elle quand on gueule, elle dégoupille. Elle se dit que quand on ne dort pas, il faut s’occuper. Elle a laissé le téléphone ouvert mais il ne sonne pas. Elle pense que c’est bizarre quand il n’appelle pas. Elle va peut-être l’appeler. Elle va peut-être mais après. Elle devra s’habiller et sortir. Elle sait que d’ici on ne sort pas comme ça. Elle sait que la porte d’entrée est verrouillée à cette heure-là. Elle sait qu’elle va devoir descendre en bas et chercher quelqu’un dans le bureau. Elle voit déjà la gueule enfarinée de celui qui fait la nuit et qui ne lui ouvrira pas. Elle sait que si elle insiste, parlemente, selon le gars, on lui ouvrira. Elle sait que sinon, elle va dégoupiller. Elle pourrait réveiller les autres, foutre le boxon. Elle pourrait appuyer sur l’alarme et se marrer. Elle pourrait se glisser tranquille dehors, dans l’air froid pendant ce temps-là. Elle reviendrait demain de toute façon. Ils appellent ça une fugue. Elle, enfin, pour elle ce n’est rien. Elle connait le bout de papier envoyé par fax au commissariat. Elle sait aussi que personne ne va la chercher. Elle sait que les flics ont autre chose à foutre. Elle sait qu’ils savent qu’ils ne peuvent plus rien pour elle. Elle pense que finalement elle va peut-être la fumer cette cigarette, juste vite fait, une taff à la fenêtre. Elle se dit tant pis, il a qu’à venir, lui et sa morale et lui prendre la tête. Elle est prête.
Vraiment magnifiques textes, glaçants, horrifiants mais magnifiques, on est tellement avec elles. Bravo!