elle écoutait le silence dans le compartiment du train entrecoupé de respirations (tantôt faibles tantôt marquées, plates ou rondes), de toux, de rires exubérants ou discrets et même parfois de pleurs ; à leur contact, elle écoutait son corps dont le souffle, la transpiration, le flux énergétique changeaient incroyablement en d’infimes vibrations, variations ; elle rapprochait les sons qui se ressemblaient ou bien s’éloignaient, faisait
des tris entre les sonorités exacerbées ou bien atténuées par la nuit, le silence ; elle écoutait leur altération sous l’effet du bruit des wagons sur les rails ; (elle-même se rendait compte de ce qu’elle pouvait provoquer (certaines modulations), s’en amusait) ; elle pensait que le temps se formait uniquement à partir de ces rapprochements, ces éloignements, ces contaminations entre les bruits, les matières, vagues sonores presque tactiles, rien d’autre ; elle prenait sa tasse de café entre les mains et tremblait par anticipation des tirs proches, à des moments ils n’avaient été que lointains ; elle arrêtait le feu sous la cafetière qui en réalité était restée froide, elle ne supportait plus son gargouillis rauque ; elle attachait ses cheveux avec des élastiques qu’elle faisait tomber par terre, les chats s’en amusaient en miaulant faisant mine de sauter pour fuir et après revenir ; elle crispait son visage et sentait ses tempes se resserrer quand elle entendait des bruits de pas devant chez elle parfois suivis de coups de sonnettes répétés ; elle avait donné des bouteilles de verre vide à des enfants pour qu’ils soufflent dedans ; elle mettait des images de corps inanimés sur les voix fugitives de la cour ; elle souriait à l’homme âgé assis par terre et, probablement sourd ou perdu, qui dessinait dehors sous le soleil et les tirs; elle mettait des noms sur presque tous les bruits de la ville assiégée ceci lui rappelant le déchiffrage similaire que pouvait permettre la connaissance du fonctionnement par exemple d’ engins complexes à émissions sonores comme l’avion ; elle enlevait ses vêtements comme pour se débarrasser des bruits cachés de la nuit ; elle marchait dans les couloirs souterrains de cavernes d’Italie ; elle marchait dans des cavernes d’Espagne ; elle marchait dans des cavernes d’Arabie ; elle humait les vapeurs volcaniques et machait des feuilles ; elle avait des visions ; elle répétait ses performances dans les souterrains d’une église protestante de New York ; elle était issue d’une lignée religieuse ; elle était issue d’une lignée mythique ; elle était issue d’une lignée ethnique ; elle avait connu l’un des personnages du livre de John Steinbeck, Cannery Row ; elle créait des sculptures ; elle avait laissé partir son compagnon pour un homme ; elle avait fasciné Gérard de Nerval et Lorenzo Ghiberti ; elle avait un amoureux qui pouvait aussi bien s’appeler Salomon que Soliman ; elle était actrice, danseuse et avait vécu la guerre ; elle avait aidé Justinien à mener la guerre ; elle avait de splendides mosaïques byzantines qui la représentaient à l’intérieur d’une église de Ravenne; elle n’avait pas été là quand il lui était apparu, à lui, l’empereur, pas à elle, une gazelle, en fait, Maria, qui lui avait alors dicté en 545 AD la construction du monastère ; elle, l’animal dans sa nuit, regarde Joseph-(Giuseppe) Beuys sous son chapeau mou s’avancer enveloppé dans une couverture de feutre ; elle le sent, le renifle ; elle fait ses besoins sur la pile des Wall Street Journal accumulés par terre ; elle mord la couverture par endroits ; elle regarde parfois l’objectif en haut de cet immeuble new yorkais ; elle est seule avec Beuys huit heures par jour tous les jours pendant quatre jours ; elle parle la même langue sous sa peau son poil que Joseph Beuys sous sa couverture de feutre ; on dirait ; même la nuit ; surtout la nuit ; elle doit entendre le battement de leurs intériorités la nuit dans le silence du jour comme une matière ou un objet transductible;
Fabuleux !
Merci Helena! C’est super gentil!
Merci.
Merci à vous Irene d’avoir lu! A très bientot!