autobiographies #09 Une fleur à multiples pétales

Je passe la porte calée par une chaise en bois, le carillon carillonnant au souffle du vent, dévale les deux marches en pierre. Je te vois derrière les effluves de lait bouilli, la confiture d’été et les rires perchés en haut d’une chaise. Tu es près de la gazinière d’un autre âge, où des bûches se consument, assise en bout de table, un reste de café dans la cafetière, les tasses dans l’évier, les pommes de terre coupées en lamelle dans un plat rectangulaire et le chat endormi dans les bras. Puis tu disparais. Un rai de lumière m’indique ta présence sous la porte tapissée de nos deux chambres communicantes. Seul le bouton en porcelaine en souligne sa présence. Deux fenêtres ouvertes à la blancheur des poiriers en fleur, donnent sur le jardin ; contre le mur nord une armoire en chêne à deux portes pleines, la possibilité de s’y cacher, un lit deux places au centre, la tête de lit contre la cloison, en miroir avec le tien. Je frappe à la cloison pour te dire « bonne nuit », tu frappes en retour, puis tu disparais. La peinture se craquelle, le heurtoir n’a pas servi depuis si longtemps. Par une fente du bois je t’épie, je trace les contours de ta silhouette passant de la salle de café à la minuscule cuisine, tapisserie de marguerites orangées, lino bordeaux, un rebord pour les fleurs à hauteur de la lumière du jour, tu as toujours aimé les fleurs ; puis de la cuisine au séjour, du séjour au bureau, la couleur des murs devenant plus sombres à mesure que tu t’éloignes jusqu’à s’éclairer devant la porte vitrée d’un jardin en friche. Puis tu disparais. La clenche se lève par la pression de mon pouce. Auparavant, j’ai écouté d’une oreille attentive l’absence des fantômes dissimulés dans les paniers accrochés aux poutres, dans les caisses rangées sous l’établi, entre rabots et scies aiguisées. Je cherche ta présence avant d’avancer une main hésitante, un bras, le haut du corps jusqu’à l’interrupteur, plongeant le regard inquiet vers le fond du chai à la terre battue. Tu vides le lave-linge dans la haute panière en plastique sous la faible lumière de l’ampoule au-dessus de toi, tu souris de ma peur, puis tu disparais. Je monte deux marches usées avant de frapper à la porte, le bouton en laiton tinte. Dans la salle de bain à la tapisserie vichy bleu, tu t’apprêtes à faire couler l’eau dans la baignoire émail dans ta robe de nuit fleurie, des guirlandes de roses de coton au rideau de la fenêtre te masque de la rue. J’ôte les serviettes étendues sur le rebord de la baignoire, les dépose sur une boite en carton faisant office d’étagère. Le parquet craque sous mes pas. A l’ouverture du robinet d’eau chaude, la flamme bleue du brûleur de la chaudière. Ton visage se reflète dans le miroir ovale au-dessous du néon, au-dessus de l’after shave petrol hahn vert bouteille. Lumière froide. Puis tu disparais. Du fond du cabanon envahi d’araignées, tu me chuchotes : la nuit, je laisse la porte ouverte et je chante pour éloigner les ombres. Des planches disjointes et un trou en guise de poignée. J’y glisse un doigt pour l’ouvrir. La poussière de blé poudre la danse des gestes. Du sac au seau kaki jusqu’à l’enclos, tu répètes la chorégraphie, puis disparais.

A propos de Fabienne Savarit

J'ai toujours eu envie d'écrire des histoires. Le temps me manque, alors j'écris par petits souffles, en atelier, dans des carnets, sur un coin de table. Mon premier roman a été publié en juillet 2020, j'en suis encore ébahie. Mes mots sont voyageurs et se perdent au creux des courants marins. https://www.facebook.com/Fabienne-Savarit-Autrice-105753008006663

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